« Un modèle de développement plus sobre, c’est un modèle du vivre mieux »
La menace climatique, la rareté de l’énergie, le poids des déchets, leur mode de traitement et de facturation, le recyclage, l'agriculture et ses errances... Dans le prolongement de nos précédents rédactionnels exposant le point de vue des candidats à la présidentielle, François Bayrou ajoute quelques éléments, en réponse à des problèmes qu’il juge fondamentalement importants : il préconise un changement de cap ... en France mais aussi à l'échelle européenne et ce à long terme, ce qui demande un plan national "trans-partisan"…
Réduire nos consommations d’énergie et modifier nos sources d’approvisionnement pour diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, est ce, selon vous, suffisant pour relever le défi énergétique ?
La crise climatique n’est pas un fantasme mais une réalité. Cela place tous les pays de la planète, et en particulier les démocraties, devant une responsabilité inédite pour préserver l’avenir de l’espèce humaine : cela impose notamment de changer les attitudes et les habitudes du combat politique. L’objectif de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 est désormais partagé par tous, mais rien n’a encore été entrepris pour nous mettre en capacité de réussir ce challenge.
Or, face à l’ampleur de ce défi, il est absolument nécessaire de définir une politique orientée sur le long terme visant à ce que chaque citoyen, chaque entreprise et chaque administration puisse devenir un acteur impliqué dans la lutte contre les gaz à effet de serre.
Nous devons dès maintenant nous mettre en ordre de bataille dans ce sens, ce qui signifie que pour la prochaine mandature nous devons nous fixer l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 15%. Ce plan d’adaptation au changement climatique doit selon moi s’appuyer sur les cinq leviers suivants :
l’élévation des normes techniques d’efficience énergétique, notamment dans le bâtiment où nos logements sont notoirement moins performants que ceux construits en Allemagne par exemple.
une fiscalité réorientée pour susciter chez chaque acteur des comportements plus éco-responsables. Cela passe par des taxes pénalisantes pour les comportements les plus polluants et aussi par des avantages fiscaux incitatifs pour ceux qui choisissent des équipements ou des technologies écologiques ;
une mise à plat complète de notre « mix énergétique », avec un développement ambitieux des énergies renouvelables (solaire thermique, éolien, bois énergie et également biocarburants de seconde génération, biogaz, géothermie) et un maintien maîtrisé et transparent du nucléaire civil ;
la formation de la population : je suis convaincu que les français sont prêts à modifier leurs comportements, à condition que chacun ait conscience des raisons qui rendent nécessaire cette modification ;
enfin un effort de recherche sans précédent, qui n’aura le volume nécessaire que s’il est conduit au niveau européen, et qui visera le développement des énergies nouvelles (énergies marines, solaire, piles à combustibles ou biocarburants de nouvelle génération) et de la séquestration du carbone.
La filière nucléaire de production d’électricité fait partie des instruments indispensables et de nos atouts pour lutter contre l’effet de serre. Mais nous avons besoin d’une expertise scientifique sur l’EPR. Derrière ce projet se pose la question du renouvellement de nos réacteurs actuels et une décision aussi structurante pour notre politique énergétique doit se prendre à l’issue d’un débat le plus large et le plus démocratique possible. Je ne suis donc pas d’accord pour que la décision soit prise en catimini. Il faut organiser avant l’été un débat national, pour prendre les décisions à long terme sur notre politique énergétique.
Qu’en est-il des transports et du bâtiment dans ce schéma ?
C’est bien sûr dans les domaines des transports et du bâtiment qu’il faudra appliquer cette politique de la manière la plus résolue, puisque ces deux secteurs représentent à eux deux environ 50% des émissions, et que ce sont dans ces deux domaines que l’évolution actuelle est la plus préoccupante.
Dans ces deux domaines, la mesure qui me semble la plus efficace est la mise en œuvre d’une « taxe carbone » sur les carburants d’origine fossile. Les taux de cette taxe seront faibles au départ pour être augmentés progressivement. Bien entendu sa mise en place devra être annoncée à l’avance pour laisser à chacun le temps de s’adapter, et promue autant que possible dans un cadre européen pour éviter tout effet de dumping fiscal.
Ainsi, en matière de transports, je propose :
de rétablir la priorité des financements publics en faveur du développement d’infrastructures de transport en commun fiables, confortables et accessibles au plus grand nombre, et du développement du fret fluvial et ferroviaire.
de développer le potentiel du fret fluvial et du cabotage, et de rendre le fret ferroviaire techniquement et économiquement viable en se fixant comme objectif l’obligation du ferroutage pour les camions traversant la France à l’horizon 2025. Le financement devant se faire par le biais des ressources tirées de la taxe carbone.
d’inciter à des comportements nouveaux (arbitrages en fonction de l’impact « carbone », covoiturage, télétravail, suppression des déplacements aériens et routiers inutiles…)
de tirer profit au plus vite du potentiel offert par les bio ressources pour diminuer notre dépendance au pétrole ;
d’encourager la recherche et le développement de véhicules nouveaux : performances des moteurs, contrôle électronique, redescente en gamme pour rapprocher les véhicules de leur usage réel (diminution de poids, de puissance et de vitesse), motorisations sans émission de CO 2.
Dans le domaine du bâtiment, je propose également :
de rendre rapidement les normes pour les nouvelles constructions plus exigeantes pour la performance énergétique des logements et bureaux (vitrages peu émissifs, isolants performants, chaudières à condensation, pompes à chaleur géothermales, solaire thermique pour l’eau chaude sanitaire et le chauffage, construction à énergie positive...) ; toutes ces technologies doivent nous permettre de fixer avant 2010 une norme maximale pour les constructions neuves de logements à 50 KWh/m 2 pour les consommations d’énergie primaire liées au chauffage.
de mettre en œuvre des allégements de fiscalité vraiment incitatifs pour la construction aux normes de la qualité environnementale (du type des 14 cibles HQE et référentiels similaires) ;
de lancer une vaste opération de réhabilitation du patrimoine bâti. Avec un rythme de renouvellement du parc de logements de 1% par an, nous ne pouvons aucunement nous permettre d’attendre le seul renouvellement naturel de celui-ci. Je propose donc une modulation de la taxe sur le foncier bâti en fonction des performances énergétiques des bâtiments pour inciter à la rénovation. Obliger toute nouvelle construction d’aller dans le sens de la réduction des G.E.S, en particulier à avoir un dispositif d’énergie renouvelable.
L’aménagement du territoire de notre pays tel qu’il prévaut est-il vraiment compatible avec la réduction des émissions de CO2 ?
L’aménagement du territoire, c'est-à-dire l’utilisation rationnelle de l’espace, est indissociable du développement durable.
Cela passera notamment par :
la limitation de l’étalement perpétuel de la ville qui menace l’équilibre de notre pays, coûte cher en transport, carburant et carbone, favorise les exclusions sociales et ravage nos paysages ;
une politique de préservation et de reconquête des sols faces aux pollutions et à l'imperméabilisation ;
la prise en compte plus sérieuse des risques technologiques et naturels ainsi que des nuisances sonores et olfactives dans les projets de construction et d’infrastructure. Il ne faut plus subir mais prévenir les catastrophes (AZF à Toulouse, inondations de Nîmes, Aramon, Vaison la Romaine…) ;
l’obligation pour chaque commune et collectivité locale de plus de 10 000 habitants de faire procéder à un état des lieux indépendant sur ses impacts de développement durable et définir un plan local de développement durable (Agenda 21).
Une économie plus sobre, plus solidaire et responsable est une économie qui respecte et protège son patrimoine naturel.
Comment promouvoir une économie écologiquement et socialement responsable ?
Je suis pour la promotion d’une économie plus responsable, d’une croissance « sobre » sur le plan environnemental et social.
Il faut pour cela :
faire appliquer les obligations d’informations des impacts sociaux et environnementaux des entreprises cotées et l’étendre aux entreprises publiques ;
appliquer rigoureusement le règlement de Reach, pour préserver la santé et l’environnement des substances chimiques;
promouvoir activement l’investissement socialement responsable (fonds développement durable, solidaires ou éthiques) en déterminant une définition légale, en imposant des critères de durabilité aux placements publics (à l’instar des pratiques du Fonds de Réserve pour les Retraites) et en les encourageant fiscalement ;
encourager la consommation de produits à plus value sociale et environnementale (commerce équitable, bio…) en clarifiant notamment les labels, en multipliant les actions pédagogiques et en communiquant l’empreinte sociale et environnementale des produits et services ;
réaliser un inventaire mondial des matières non renouvelables et en vue d’en limiter ou interdire l’utilisation ou encore mettre en place des plans de transition, à partir de quotas ;
mettre en œuvre des dispositifs luttant contre les publicités « écologiquement » mensongères ; remplacer le Bureau de Vérification de la Publicité par une autorité administrative indépendante de la publicité;
inscrire, parmi ces orientations, celles qui doivent l’être dans les programmes scolaires.
En outre, le déchet le moins polluant étant celui qu’on évite de produire, je souhaite mettre en œuvre une politique volontariste de réduction à la source des déchets. Sur la prochaine mandature l’objectif que nous nous fixerons sera de réduire de 20% la quantité de déchets produite.
Les mesures qui nous permettront de tenir ce cap sont les suivantes :
imposer l’éco-conception au stade de la fabrication et le recyclage des produits en fin de vie (étendre le principe de la directive européenne D3E sur les déchets électriques et électroniques à d’autres produits) ;
favoriser les produits « durables » ou réutilisables au profit des « jetables » quand les conditions sanitaires le permettent ;
faire évoluer le financement des systèmes de collecte et de traitement des ordures ménagères vers des redevances pour toutes les collectivités qui seraient calculées sur les volumes de déchets collectés pour inciter chacun à optimiser sa production de déchets ;
généraliser la pesée embarquée pour encourager le tri;
favoriser l’économie circulaire, pour que les déchets d’une entreprise deviennent la matière première de l’autre;
moratoire sur les incinérateurs : il faut revoir le système des déchets en France et organiser une halte à l'incinération.
Ces actions et mesures doivent faire partie des objectifs urgents de la gouvernance européenne et mondiale. La France doit cependant initier dans un premier temps au niveau national ce type d’actions, en se faisant le laboratoire d’une économie durable.
Le monde agricole vous tient particulièrement à coeur. Qu'envisagez-vous pour mettre en place une agriculture durable (pour l’environnement et les agriculteurs)?
A voir les résultats économiques, sociaux et environnementaux du modèle agricole actuel, je pense qu’il est nécessaire de changer de cap. Ce changement doit être progressif et socialement acceptable pour nos agriculteurs. Il faut pour cela :
une politique agricole régulée fondée sur les prix et non plus sur les primes, dans des zones homogènes de libre échange pour garantir des approvisionnements en produits sains, la protection de l’environnement et un tissu dense d’agriculteurs ;
une recherche de débouchés nouveaux car l’agriculture peut rompre notre dépendance au pétrole et répondre à nos défis écologiques (biocarburants, filière bois énergie, matériaux d’origine végétale, captation du carbone…) ;
une limitation des pesticides comme y est parvenu le Danemark, sans que cela nuise aux exploitants agricoles ;
une diminution des intrants azotés, par exemple en programmant une diminution de 500 000 tonnes des engrais azotés de notre agriculture, pouvant être réalisée par la définition d’un bilan azoté à l’échelle de l’exploitation, et soit un "permis de consommation" de l’azote, soit un système de bonus-malus, à discuter avec la profession ;
une réorientation des cultures pour limiter l’irrigation et la consommation en eau ;
une agriculture biologique encouragée et les principes de l’agriculture intégrée progressivement imposés;
une déductibilité des investissements écologiques (comme la récupération des eaux pluviales, l’utilisation des engrais naturels, de la biomasse,…) pour encourager les exploitants à des pratiques plus vertueuses.
Enfin, élu à la Présidence de la République, je demanderai au plus vite l’organisation d’un grand débat national sur les OGM, nourri d’un rapport présenté par les scientifiques de notre pays et qui s’appuiera sur une commission composée en particulier de pharmacologues. En attendant les résultats scientifiques, je suis favorable à un moratoire immédiat sur les OGM. Il ne doit pas y avoir de semis en plein champ avant que nous ayons un recul suffisant sur leurs conséquences sur le milieu et sur la santé humaine.
Nous devons aussi mettre en place les moyens de préparer la croissance durable de demain et pour ce faire, mettre en place une grande politique de la recherche française et européenne en augmentant les investissements dans les domaines des énergies du futur, des biomatériaux, de la chimie du végétal, des biotechnologies ou encore du génome. Il nous faudrait également pouvoir intégrer dans la comptabilité des entreprises la publication des charges et investissements relatifs à la recherche et au développement d’éco-innovations et octroyer des crédits d’impôts aux entreprises actives dans ce secteur;
Nous souffrons d’un manque de culture du développement durable que nous devons combler. Il faut renforcer l’information au grand public sur les enjeux d’un développement économique responsable, soucieux de progrès social et de respect de l’environnement. Sur ce dernier point, nous devons encourager les éco-gestes, notamment en matière de maîtrise de l’énergie, des déchets et de l’eau et surtout systématiser la question écologique dans toutes les formations, du primaire aux études supérieures et professionnelles et diffuser les bonnes pratiques de chaque catégorie d’acteur (entreprises, citoyens, pouvoirs publics…).
Je pense qu’il est urgent de mettre en place une économie mieux régulée, plus sobre et plus responsable. Cela passe nécessairement par la construction d’une gouvernance internationale plus forte, et ce :
Au niveau européen, construction d’une Europe politique qui fait de l’environnement un des moteurs de son projet et du développement durable l’objectif commun à tous les Etats membres. Je propose la mise en place d’instances permettant une véritable politique européenne de l’énergie et de l’écologie ayant pour objectif l'indépendance énergétique de l'Europe et la réduction des gaz à effet de serre, la recherche dans de nouvelles technologies, l'accroissement du pouvoir de négociation de l'Europe sur les marchés mondiaux et la préservation et l'amélioration de notre environnement.
Au niveau international, constitution au plus vite d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME) pour assurer une régulation internationale effective. Cette instance doit être mise en place au sein de l’ONU, seule organisation internationale disposant de l’audience nécessaire pour réguler les marchés financiers, pour imposer des règles et minima environnementaux et pour résoudre les inégalités écologiques Nord-Sud et leurs conséquences dramatiques.
Pour conclure, je dirais qu’il n’y a pas de projet de développement durable qui vaille :
sans un investissement politique fort au niveau international ;
sans construction de l’Europe politique ;
sans un Parlement français qui fonctionne ;
sans le dépassement des clivages politiques traditionnels ;
sans investissement dans la recherche et l’éducation ;
sans croissance économique, sans finances publiques saines et amélioration du pouvoir d’achat de nos concitoyens pour financer les mutations technologiques et les investissements nécessaires ;
sans solidarité envers ceux qui sont les laissés pour compte de notre société et qui souffrent le plus de nos modèles de croissance « insoutenables ».