Transport et développement durable : La route restera le mode dominant !
Le développement durable consiste à concilier croissance économique, respect de l’environnement et progrès social. En ce qui concerne les transports, le développement durable signifie transporter mieux et moins, dans des conditions de sécurité optimales, tout en maîtrisant parfaitement les conditions dans lesquelles les prestations de transport sont réalisées.
Denis Choumert, Président de l'association des utilisateurs de transport de fret, l'AUTF, répond à quelques questions qui soulèvent parfois la polémique. Ses réponses ont le mérite de la clarté... La route restera le mode de transport dominant ; il faut donc continuer d’améliorer les performances environnementales du transport routier !...
Connaissez vous les impacts négatifs liés à votre activité, les avez-vous mesurés ?
Les impacts négatifs liés au transport des marchandises sont connus et mesurés au plan macro-économique aussi bien en ce qui concerne les pollutions atmosphériques que les émissions à effet de serre, le bruit ou encore la congestion.
Néanmoins, il est particulièrement difficile de mesurer les impacts négatifs d’une relation de transport notamment en ce qui concerne les rejets de C02.
Il est donc capital de disposer d’un instrument de mesure commun à l’ensemble des secteurs d’activités respectant les standards internationaux et s’inspirant de ceux déjà mis en œuvre pour mesurer les rejets de C02 des process industriels.
La mise en place de cet instrument de mesure constitue un préalable indispensable à toute démarche visant à taxer d’une façon ou d’une autre les émissions de C02 dues aux transports de marchandises.
Avez-vous pris des mesures ou prendrez vous des mesures pour limiter vos gaz à effet de serre ? Lesquels?
De nombreux chargeurs se sont engagés dans une démarche environnementale visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. De grandes entreprises ont d’ailleurs initié des relations de partenariat avec leurs prestataires de service, qui intègrent une maîtrise des nuisances externes du transport et notamment les émissions de CO2. Les rapports environnement intègrent de plus en plus souvent un volet transport qui atteste de cette évolution.
Sur le plan méthodologique, ces relations se matérialisent par l’introduction dans les contrats et les cahiers des charges d’un chapitre sur l’environnement et de la mise en place d’un système de management de la qualité commun.
Transport et développement durable. Est-ce compatible ?
Le développement économique est indissociable du développement du transport
La gestion rationnelle sur le plan économique du transport conduit nécessairement à limiter les mouvements de marchandises inutiles et de ce fait à une plus grande maîtrise environnementale.
Les deux notions sont donc tout à fait compatibles même si bien souvent le transport routier est pour beaucoup synonyme de nuisance et de pollution. Or, il faut noter que depuis 10 ans, les performances environnementales du transport routier n’ont cessé de s’améliorer.
En matière d’émissions polluantes, les véhicules de transport routier ont réalisé des progrès considérables au cours des dernières années. La diffusion des normes Euro successives dans le parc de camions permet depuis une dizaine d’années de réduire de façon drastique les niveaux d’émissions d’oxydes d’azote, de particules, d’hydrocarbures et d’oxyde de carbone, ce qui est loin d’être le cas des véhicules particuliers.
Ainsi, entre 1990 et 2013, les trafics des camions circulant en France aura progressé de 73% tandis que le volume global d’émissions de ces mêmes camions aura été divisé par 4,5 au cours de la même période. Les prochaines normes Euro 4 (2006) et Euro 5 (2009) entraîneront une diminution tout aussi importante des niveaux d’émissions réglementaires.
Cette sévérisation des normes induit une action des constructeurs en terme de traitement des émissions à la source (injection haute pression, systèmes de recirculation des gaz d’échappement).
La réduction des émissions de gaz à effet de serre passe avant tout par d’importants efforts de recherche pour abaisser la consommation unitaire des véhicules, que ce soit par la généralisation des systèmes d’aide à l’économie de carburant ou encore par le soutien à la recherche et au développement de véhicules propulsés par une énergie alternative au gazole.
Connaissez vous les enjeux du sommet de Kyoto liés aux émissions de gaz à effet de serre et aux changements climatiques ?
Les industriels sont particulièrement au fait des enjeux de ce sommet, en particulier ceux qui appartiennent à l’industrie cimentière, mais également ceux des secteurs de l’énergie, de la production de métaux non ferreux, des produits céramiques, et de la pâte à papier car ces secteurs sont d’ores et déjà concernés par la mise en œuvre du marché de permis d’émissions négociables. Ces enjeux impactent donc directement leur activité industrielle.
Par ailleurs, il faut noter que les entreprises cotées en bourse se doivent de rendre un rapport environnement en faisant état de leur politique en la matière.
Aucun industriel, tout au moins européen, ne peut ignorer cette problématique.
Devrions-nous prendre les mêmes mesures dans le secteur du transport que celles appliquées dans les autres secteurs industriels en matière de rejet de CO2 ?
Il est prématuré de poser cette question.
En effet, il est difficile de mesurer l’impact environnemental du transport ; il existe de nombreux désaccords entre les spécialistes sur le niveau de ré internalisation des coûts externes.
Par ailleurs, la question de la faisabilité pratique d’un tel système se pose particulièrement en ce qui concerne les transports.
Il est en effet beaucoup plus complexe de mesurer les rejets des émissions de CO2 dues aux transports que de mesurer celle des installations fixes car les transports fonctionnent en réseau.
Sur un parcours d’un point A à un point B, il y a plusieurs acteurs économiques, plusieurs modes de transport utilisés, il est donc très difficile de mesurer de bout en bout le niveau des rejets d’émissions polluantes et de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, le système de permis d’émission négociables appliqués aux autres secteurs industriels n’en est qu’à ses débuts et nous n’avons pour le moment aucune idée dont cela va fonctionner. Attendons de pouvoir tirer les enseignements de ce système avant de l’appliquer à un secteur beaucoup plus complexe par nature.
Face à cette somme d’incertitudes, il apparaît plus raisonnable d’utiliser des outils qui ont déjà fait leur preuves mais qui sont mal employés :
appliquer des normes techniques dès la fabrication des moyens de transport
faciliter le renouvellement du matériel
accélérer la sortie du matériel obsolète
favoriser la mise en place d’incitation à employer du matériel avec une meilleure performance environnementale.
Deux types de moyens pourraient être mis en place :
des moyens coercitifs, c'est-à-dire interdire l’usage d’un matériel obsolète
favoriser l’usage de matériel performant grâce à des avantages économiques et des compensations tangibles
La France est l’un des rares pays d’Europe à ne pas avoir de politique d’incitation au renouvellement du matériel et à la préservation de l’environnement.
Nous sommes toujours dans le mythe du transfert modal, or nous savons bien que la route restera le mode de transport dominant.
Il faut donc continuer d’améliorer les performances environnementales du transport routier par une politique d’incitation volontariste.
Au-delà du matériel, cette amélioration des performances environnementales du transport routier passe également par :
Le passage du poids maximum en charge des véhicules routiers dans un premier temps de 40 à 44 tonnes (l’augmentation du poids en charge dans un pays comme la Suisse a permis de contenir le nombre des mouvements de véhicules sur le territoire helvétique).
L’amélioration des infrastructures, notamment routières, afin qu’elles ne deviennent pas des goulets d’étranglements. Le degré de fluidité du trafic a une forte influence sur les niveaux d’émission ; des retards en la matière seraient très dommageables
L’amélioration du « service » procuré sur les routes, en harmonisant les interdictions de circuler prises au niveau européen, national et régional, qui neutralisent l’usage des infrastructures sur de trop longues périodes, reportant les trafics sur des périodes de plus en plus courtes, d’où là encore, une forte influence sur les niveaux d’émissions.
Il existe bien d’autres moyens pour réduire les émissions de CO2 autrement que par la mise en place d’un marché de permis d’émissions négociables :
Autre d’exemple, citons une étude de l’Ademe de 2003 qui précise qu’un simple respect des limitations de vitesse sur route et autoroute, permettrait d’économiser 600 000 tonnes d’équivalent carbone par an d’ici 2010-1012, ce qui représente 15% de la réduction d’émissions de CO2 prévue dans le plan national de lutte contre le changement climatique de janvier 2000 pour les transports.
Par ailleurs, des facteurs de progrès n’ont peut-être pas assez été exploités au niveau des industriels comme :
Jouer sur le produit en allégeant produits et emballages, en augmentant la densité de remplissage, en améliorant la qualité et la durée des produits (moins de flux d’après vente)
Augmenter la taille des lots, en facturant séparément les produits et leurs transports, en tarifant différemment lots complets et lots partiels, en augmentant la taille des expéditions, en évitant le passage par une plateforme
Favoriser les solutions partagées pour les entreprises qui ne peuvent pas faire de camion complet (multipick)
Mieux contrôler la sous-traitance
Différencier les expéditions selon l’urgence
Répartir différemment les sites de production
Mieux gérer les marchandises en ville
En ce qui concerne la taxation, l’AUTF ne croit pas à une politique dissuasive voulue par certains, reposant sur la taxation de la route pour réorienter la demande de transports vers les modes complémentaires que sont le transport ferroviaire, le transport fluvial et le cabotage maritime.
Il faut au contraire rendre ces modes de transport plus attractifs et ceci passe par :
Un effort de productivité (en permettant de faire passer davantage de marchandises avec un bon niveau de service sur les infrastructures existantes)
Un effort de cohérence dans l’utilisation des modes de transport (en utilisant chaque mode de transport dans son domaine de pertinence)
Un effort sur l’offre de transport pour qu’elle soit attractive aux yeux des clients en ouvrant les marchés qui ne le sont pas encore
Un effort des prestataires de service eux-mêmes car rares sont les partenaires surtout en Europe capables de proposer des solutions globales et multimodales aux chargeurs, à l’image des « global carriers » dans le transport maritime
Un effort pour rendre attractive la multi modalité lorsqu’elle est pertinente
Ces efforts doivent être faits en sachant qu’aucun mode de transport ne pourra se substituer à la route qui restera le mode de transport dominant avec une part de marché de près de 80% en particulier car 75% de marchandises sont transportées sur moins de 100 km.
Quelles seraient les mesures incitatives, notamment financières, que le gouvernement devrait prendre pour vous inciter à développer une politique de développement durable ?
Les industriels ne demandent pas d’aides financières directes pour les aider à développer une politique de développement durable.
La responsabilité environnementale incombe d’abord et avant tout au monde du transport, l’incitation financière doit donc s’adresser aux prestataires de transport.
Les chargeurs doivent se placer en position de prescripteurs auprès des transporteurs afin qu’ils mettent en place de systèmes de management environnemental fondés en particulier sur un renouvellement de leur matériel, qu’il s’agisse de la route mais également de la voie d’eau et du ferroviaire dont l’âge moyen du matériel est extrêmement élevé.
Etes-vous favorable au développement du ferroutage pour le transport des marchandises ? Aux transports par voies navigables ?
En ce qui concerne le ferroutage, cette technique permettrait de désengorger certains axes routiers et serait ainsi un bon moyen de franchir les obstacles naturels tels que les montagnes ou les zones urbanisées denses. C’est d’ailleurs dans ce genre de configurations que le ferroutage trouve sa place en Europe, en Autriche et en Suisse en particulier.
Cette technique présente en outre l’intérêt d’éviter les ruptures de charge puisque la marchandise voyage en porte à porte sans quitter la remorque et souvent avec le même chauffeur. Ceci constitue un gage indéniable de sécurité pour la marchandise mais n’est envisageable que sur de longues distances.
Cependant, il faut noter qu’un service de ferroutage étant donné les composantes actuelles de la concurrence entre les modes, le coût de la traction et l’organisation de chemins de fer n’est pas viable sur le plan économique sans subsides publics : en effet, le rapport poids utile/tare est trop discriminant.
C’est d’ailleurs ce que démontre l’exemple suisse : pour un euro de chiffre d’affaires, la Confédération Helvétique vers e une subvention de un euro.
Au niveau des prix, les chargeurs, qui ne contrôlent pas nécessairement la technique de transport employée au-delà du premier maillon (le plus souvent routier), jugeront l’offre commerciale sur la base de critères économiques.
Outre un prix compétitif, le ferroutage doit également fournir un niveau de qualité irréprochable. Cette technique suppose la mise en place d’un système de navettes avec un véritable service garanti en termes de régularité et de fréquence, du type Eurotunnel. En cela, elle n’est pas assimilable à un service de transport à la demande. En l’état actuel, les différents acteurs français du transport ferroviaire, SNCF en tête, n’ont pas démontré qu’ils étaient en mesure de maintenir –sur le durée- le niveau de service attendu par la clientèle, q’il s’agisse des trafics conventionnels ou du transport combiné.
Comment imaginer qu’ils seraient en mesure d’y parvenir davantage demain avec le ferroutage ?
En ce qui concerne les voies navigables, les chargeurs redécouvrent ce mode de transport depuis 5 ans comme en témoigne la progression spectaculaire des trafics (+ 6% en 2004 par rapport à 2003). Sa fiabilité, la disponibilité des infrastructures, sont prix attractif se conjuguent avec un fort potentiel environnemental.
Ceci étant, les techniques de transport des modes dits « alternatifs » ne sont pas comparables entre elles ; il faut distinguer deux types de transport :
Les modes de transport qui sont à même de réaliser des transport de porte à porte dans certains types d’organisation : fer et voie d’eau
Les modes qui sont utilisés en combinaison avec la route : cabotage maritime, rail-route.
Les industriels sont bien évidemment favorables à l’usage de l’ensemble de ces modes, chacun utilisé dans leur domaine de pertinence.