Trafigura : négociant ou trafiquant ?

Le 28/02/2007 à 17:35  

Trafigura : négociant ou trafiquant ?

Ouvrir l'oeil Suite à la publication, le 19 février dernier, du rapport de la Commission Internationale d'Enquête sur les Déchets Toxiques (CIEDT) déversés dans le district d'Abidjan après le passage du Probo Koala (consultable à la fin de cet article), un double constat s'impose : d'une part "c’est apparemment bien la société Trafigura Ltd qui, en agissant comme l’affréteur du Probo Koala, a organisé le trafic illicite des déchets entre l’Europe et l’Afrique et leur déversement à Abidjan" et d'autre part la question de la pratique de la fabrication d'essence en mer sur des navires qui sont des moyens de transport et certainement pas des raffineries est posée...

Avec la dramatique affaire du Probo Koala, on est certainement en train de lever le voile sur des pratiques commerciales inacceptables que des opérateurs du secteur pétrolier, comme la société Trafigura, réalisent. Par ailleurs, on ne peut que faire le constat de la défaillance de la chaîne des responsabilités des autorités portuaires.
Retour en arrière

En 2006, le Probo Koala est resté longtemps dans ou autour de la Zone Economique Exclusive de Gibraltar. Et, Gibraltar a un régime particulier.Elle fait partie de la liste des pays tiers qui bénéficie de préférences tarifaires accordées par la Communauté européenne aux pays en voie de développement. Au niveau juridique, les directives européennes environnementales ne s'imposent pas. Du coup, les obligations sur les teneurs en soufre des combustibles liquides ne sont pas obligatoires.

Or, l'affaire du Probo Koala devenu Gulf Jash révèle qu'en mélangeant différents carburants à bord des navires, on obtient de l'essence que l'on peut vendre en se passant d'un raffinage. Seul hic, cette opération émet des déchets toxiques dont il faut bien se débarrasser. C'est ainsi que lorsque Tredi était intervenu pour analyser les produits déversés à Abidjan, son responsable avait indiqué qu'ils contenaient « du phénol, du mercaptan, de la soude caustique notammentUne étrange mixture que l'on ne trouve jamais dans un pétrolier ».

Maintenant, si de telles pratiques sont courantes, elles posent la question de l'assurance du traitement de ces déchets toxiques, mais plus encore de leur légalité.
C'est ce qui fait dire à l'association Robin des Bois "qu'il importe de déterminer si le stockage flottant et la fabrication d'essence en mer sur des navires déclarés comme simples vecteurs de transport, et non comme unités industrielles, sont sûres sur le plan sanitaire pour les équipages, régulières sur le plan fiscal et conformes aux exigences environnementales de l'Union Européenne et du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). Il importe aussi de préciser le statut des déchets d’exploitation générés par de telles opérations industrielles en mer."

Le mauvais fonctionnement de la chaîne des responsabilités

A la lecture du rapport de la CIEDT , on apprend que " si les déchets du Probo Koala avaient été traités dans une installation européenne, ils auraient été classifiés comme déchets dangereux et traités dans une installation agréée, car, ils rentrent dans la classification européenne des déchets dangereux et ne peuvent pas, selon la réglementation de l’OCDE être exportés vers un pays qui n’appartient pas à l’OCDE Il y a donc exportation illicite de déchets vers la Côte d’Ivoire." Or, le bateau est bien reparti d'Amsterdam.
"Certes, il n’y a pas eu de victimes à Amsterdam. Ceci s’explique vraisemblablement par le fait que l’alerte y a été donnée très rapidement, que les activités d’APS ont été arrêtées dès l’intervention des pompiers, que les déchets ont été stockés (et peut-être traités) dans des sites couverts, que personne n’a été en contact physique avec eux. Inversement, à Abidjan, dans une atmosphère chaude et humide, la durée d’exposition de certaines personnes a pu être à la fois dense et très longue (les produits ont pour une grande partie été déversés à l’air libre dans des zones habitées, y compris la décharge d’Akouédo), les réactions des autorités n’ont pas été immédiates, la population n’a aucune culture du risque chimique et elle n’a été (imparfaitement) informée qu’après un long délai.
La CIEDT considère donc que l’Etat néerlandais et la ville d’Amsterdam portent une part substantielle de responsabilité dans la pollution d’Abidjan et les préjudices de tous ordres qui en ont résulté."

Les rapporteurs révèlent aussi les fautes des autorités ou des sociétés délégataires de services publics portuaires en Estonie qui n'ont pas respecté les procédures qui s'imposaient et dans le cas du Nigéria, elles n'ont même pas prévenu les autorités ivoiriennes.
Mais ils concluent en rappelant que " le producteur des substances toxiques, le responsable de leur transport vers Abidjan et les auteurs des décisions successives qui ont conduit à leur déversement fatal sur le territoire du District d’Abidjan sont des opérateurs économiques privés : les procédures pénales diront s’ils étaient conscients des conséquences de leurs actes."

Pour en savoir plus : rapport de la Commission Internationale d'Enquête sur les Déchets Toxiques