Réduction des émissions et stockage géologique du CO2 : des projets qui suscitent encore beaucoup de questions
Face à la croissance des émissions de CO2 et au risque de changement climatique, le piégeage du gaz émis par les grosses installations industrielles et son stockage dans le sous-sol apparaît, pour la majorité des scientifiques, comme un moyen efficace de lutte contre l’effet de serre. Les risques de changement climatique ont fait l'objet de nombreux débats au cours de ces dernières années. Actuellement, la plupart des experts estiment que ces risques sont réels et directement reliés aux émissions de gaz à effet de serre, et tout particulièrement de CO2. Les émissions de CO2 ont fortement augmenté au cours des récentes décennies, entraînant une croissance de la teneur en CO2 dans l'atmosphère. Cette augmentation de la concentration serait responsable de la tendance au réchauffement climatique déjà observée, et pourrait avoir dans l'avenir des cons équences beaucoup plus dramatiques si aucune mesure n'est prise.
Cette problématique suscite de nombreuses questions… auxquelles tentent de répondre, Olivier Appert, Président de l'Institut Français du Pétrole et Philippe Vesseron, Président du BRGM...
Quelles sont les principales sources d’émissions de CO2 ?
La très grande majorité des émissions des CO2, provient de l’utilisation des combustibles fossiles : pétrole, charbon et gaz. Leur combustion, dans les installations industrielles et dans les véhicules notamment, dégage du CO2.
Dans le monde, les émissions de gaz à effet de serre sont de l’ordre de 30 milliards de tonnes équivalent CO2. Environ 80% de ces émissions proviennent de l’utilisation de combustibles fossiles.
En France, nous émettons environ 560 millions de tonnes équivalent CO2 dont 408 millions de CO2. En 2003, de source Citepa, la répartition des émissions de CO2 est la suivante : les transports : 34,6% ; l’industrie : 23,7% ; le résidentiel tertiaire : 22,3% ; la production d’énergie : 16,6% ; l’agriculture : 2,4% et les déchets : 0,4%
La filière capture /stockage géologique du CO2 peut-elle répondre de façon globale au problème des émissions de CO2 ?
Non, plusieurs solutions complémentaires devraient être mises en œuvre pour parvenir à une réduction sensible des émissions de CO2 : la maîtrise de l’énergie notamment dans les transports et le bâtiment, l’essor d’énergies plus pauvres en carbone, en particulier les énergies renouvelables et le développement de la filière capture/stockage du CO2.
Les espoirs se tournent aujourd’hui vers la filière capture /stockage géologique du CO2 en raison des possibilités de stockage dans le sous-sol, notamment dans les bassins sédimentaires. Cependant, cette filière ne concerne que les émissions industrielles concentrées. Elle peut s’avérer profitable aux secteurs industriels qui peinent à réduire leurs émissions de CO2 à l’image des cimenteries, des aciéries, des raffineries et des usines pétrochimiques.
Quels sont les moyens envisagés pour piéger le CO2 ?
Le stockage géologique, essentiellement, avec trois options principales :
- Le stockage dans les gisements de pétrole et de gaz naturel épuisés ou en voie d’épuisement combiné à la récupération assistée de pétrole ou de gaz,
- Le stockage dans des gisements de charbon inexploités combiné à la production de méthane
- Le stockage en aquifères profonds (1) qui offrent un potentiel immense dans le monde. Rappelons que les dimensions de ces aquifères peuvent excéder quelques kilomètres d’épaisseur et s’étendre sur des centaines, voire des milliers de km².
D’autres pistes ont fait l’objet de recherches :
- La voie chimique : fixation en un produit stable pour former des roches carbonatées par un procédé naturel de minéralisation
- La voie biologique : bio fixation du CO2 par la photosynthèse de micro algues en incorporant dans un bio réacteur du CO2 d’origine industrielle et des nutriments nécessaires à la croissance des algues, production de gaz naturel à partir de la réduction du CO2, en méthane en utilisant des bactéries méthanogènes.
- Le stockage océanique fait partie des options qui suscitent une opposition vigoureuse en raison des grandes incertitudes à la fois sur l’impact à long terme d’une augmentation de CO2 sur l’écosystème marin et aussi sur le temps de résidence du CO2 dans l’océan.
A quelles sources d’émissions s’appliquent la capture et le stockage géologique ?
Cette filière s’applique aux sources d’émissions concentrées de CO2 c’est à dire aux émissions produites par les installations industrielles (centrales thermiques, cimenteries, raffineries, usines sidérurgiques…) qui sont responsables de plus d’un tiers des émissions de CO2 dans le monde. Les centrales électriques contribuent, en particulier, pour 40% aux émissions mondiales de CO2.
Concernant le transport, deuxième secteur émetteur de CO2, il n’est pas réaliste de vouloir piéger le gaz carbonique émis par chaque véhicule. Il existe, pour le transport, d’autres moyens de limiter ces émissions de CO2, via les technologies qui améliorent le rendement des moteurs. Les constructeurs automobiles européens s’y sont engagés : ils envisagent de réduite, en moyenne, les émissions de CO2 au km parcouru à 120g/km en 2012 (contre 190 g/km en 1997).
Que représente le volume de CO2 que l’on pourrait capturer par rapport au volume émis ?
Les technologies devraient permettre de capter plus de 90% du CO2 émis par les fumées industrielles. Cela correspond notamment à l’objectif fixé par le projet européen Castor. Le volume de CO2 réellement évité dans l’atmosphère sera néanmoins inférieur puisque les technologies de capture consomment de l’énergie, ce qui génère à nouveau du CO2. Des solutions prometteuses minimisant cette surconsommation énergétique sont à l’étude.
Quel est le volume qui pourrait être stocké ?
Ce sont les aquifères profonds qui possèdent la plus grande capacité de stockage ; elle est dix fois supérieure à celle des réservoirs de pétrole ou de gaz. Elle dépasserait, pour l’Europe, 800 milliards de tonnes de CO2 et serait, au niveau mondial, de l’ordre de 10 000 milliards de tonnes de CO2, soit de quoi stocker la totalité des émissions mondiales pendant de siècles.
Les capacités mondiales de stockage dans les gisements d’hydrocarbures permettraient de stocker environ 1 000 milliards de tonnes de CO2, soit le tiers des émissions mondiales pendant un siècle.
Pour ce qui concerne les veines de charbon non exploitées, leur potentiel de stockage, bien que difficile à évaluer, tourne autour des 40 milliards de tonnes.
Cependant, ces estimations varient fortement en fonction des méthodes de calcul utilisées (ex : à l’échelle mondiale, les estimations varient de quelques 100 à 200 000 milliards de tonnes de CO2) car elles sont fondées soit sur des hypothèses trop grossières, soit sur la prise en compte partielle des mécanismes de stockage dans le sous-sol.
Une action est engagée au niveau international (Carbon Sequestration Leadership Forum –CSLF) afin de clarifier les terminologies utilisées et proposer des méthodes d’estimation acceptées et validées par tous les membres de cette organisation. Ainsi, une comparaison entre les valeurs proposées sera-t-elle possible tout en maîtrisant les limitations des estimations déjà publiées.
Sous quelles formes va-t-on pourvoir transporter, injecter et stocker le CO2 ?
Le transport du CO2 peut se faire, à l’état supercritique ou à l’état liquide, par pipelines ou par bateaux.
Le CO2 est déjà transporté dans des gazoducs à l’état supercritique (pression supérieure à 74 bars et à plus de 31°C) pour les besoins de l’industrie pétrolière. La méthode est notamment employée aux Etats-Unis où plus de 900 millions de tonnes par an transitent dans 1 000 km de pipelines. Ce type de transport est relativement coûteux car il nécessite une bonne isolation et des installations de compressions et d’injection adaptées.
Ce CO2 peut être transporté et injecté dans le sous sol à l’état liquide : la température et la pression doivent être calculées pour le maintenir en phase liquide (par exemple 10 bars et -40°C). Cette seconde solution permet de réduire le coût des équipements d’injection, mais entraîne un coût supplémentaire de réfrigération.
Dans le sous-sol profond, (au-delà de 800 m de profondeur), le CO2 est piégé essentiellement sous forme supercritique. Au cours du temps une partie du CO2 va se dissoudre dans l’eau (piégeage sous forme dissoute) et éventuellement réagir avec la roche pour former des minéraux carbonatés (piégeage sous forme minérale).
Comment envisage-t-on de capturer le CO2 ?
Trois possibilités s’offrent à nous en l’état actuel des choses :
- Piéger le CO2 rejeté dans les fumées de combustion des installations industrielles existantes. Le CO2 peut être, par exemple, extrait dans des colonnes de lavage grâce à un solvant chimique qui est ensuite régénéré. Mais, avec les technologies actuelles, le procédé induit une forte surconsommation énergétique.
- Réaliser une combustion en présence d’oxygène pur au lieu de l’air (pour les nouvelles installations), ce qui permet d’obtenir des fumées plus concentrées en CO2. Mais la séparation de l’oxygène de l’air est également coûteuse et consommatrice d’énergie.
- Extraire le CO2 à la source, avant l’étape de combustion, en transformant le combustible fossile en un gaz de synthèse (2). Cette voie, à plus long terme, permettrait de produire de l’hydrogène tout en capturant efficacement le CO2.
Comment envisage-t-on de réduire les coûts de la capture ?
En améliorant la performance des technologies ! La capture représente environ 70% du coût total, évalué entre 50 et 70 dollars par tonne de CO2 évitée. De nombreux travaux de recherche sont conduits pour réduire les coûts de moitié, ce qui permettrait de rendre cette étape abordable pour la plupart des installations industrielles. Portées par des consortiums privés internationaux comme le « CO2 Capture Project » (CCP) ou les programmes européens Castor et Encap, les recherches sont engagées sur tous les aspects : depuis la consommation énergétique des procédés jusqu’aux performances des solvants (stabilité, capacité de régénération, sélectivité), en passant par les systèmes d’élimination des éléments traces, les technologies des membranes, la mise au point de nouveaux catalyseurs ou la capture de CO2 sous forme d’hydrate.
L’optimisation de la gestion de l’énergie dans les usines est également un enjeu important. A titre d’exemple, dans le procédé de post combustion par amines, la régénération du solvant nécessite actuellement un apport énergétique d’environ 3 à 4 milliards de joules par tonne de CO2, principalement sous forme de vapeur d’eau. Deux options pour la fourniture de vapeur sont possibles, soit une chaudière réservée spécialement à cet usage, soit une récupération de vapeur à partir du réseau basse pression de l’installation. Cette dernière option offre une meilleure gestion de l’énergie, avec pour défi de maintenir un rendement élevé de l’installation de production.
Où envisage-t-on de stocker du CO2 et à quelle profondeur ?
Le stockage géologique est envisagé à des profondeurs supérieures à 800 mètres :
- Dans des gisements de pétrole et de gaz naturel épuisés ou en voie d’épuisement (combiné à la récupération assistée de pétrole ou de gaz) , à une profondeur entre 500 et 2 000 mètres
- Dans des gisements de charbon inexploités (combiné à la production de méthane) à une profondeur moyenne de l’ordre de 1 000 mètres
- En aquifères profonds, à une profondeur supérieure à 1000 mètres.
La profondeur nécessaire pour atteindre l’état supercritique du CO2 (à plus de 31°C et 74 bars de pression, le CO2, est plus dense et occupe moins de volume) dépend du gradient géothermique local ; elle se situe généralement entre 700 et 900 mètres.
Quels sont les pays en pointe dans le domaine du stockage ? Y a-t-il des verrous technologiques ?
Les pays en pointe dans ce domaine sont :
- La Norvège (opération industrielle de stockage géologique du en mer du Nord, Sleipner depuis novembre 1996)
- Les Etats-Unis et le Canada (opération industrielle de récupération assistée de pétrole à Weyburn depuis septembre 2000), l’Australie qui a construit une feuille de route extrêmement solide et détaillée et qui s’apprête à lancer ses premières opérations de démonstration
- L’Angleterre, le Danemark, les Pays-Bas et la France qui participent à de nombreux projets européens et internationaux de recherche. Le premier projet européen de recherche JOULE, auquel la France a participé, a démarré en 1993. Depuis 5 ans, l’Allemagne et l’Italie ont également une politique très bien structurée.
Le stockage géologique du CO2 à l’échelle industrielle sera techniquement viable lorsque l’on aura prouvé la capacité des réservoirs à recevoir un flux important de gaz pendant plusieurs décennies, démontré l’aptitude des sites de stockage à retenir le CO2 injecté pendant une période minimale de l’ordre de 1 000 ans avec un risque maîtrisé de fuite accidentelle, et un taux de fuite moyen annuel inférieur à 0,001% de la quantité initialement stockée, montré la possibilité de surveiller les stockages et compris le devenir duCO2 à long terme (centaines d'années ) et évaluant les risques et les bénéfices associés aux interactions eau/roche.
1 Aquifère profond ou nappe aquifère ou nappe d’eau souterraine : forme que prend l’eau dans les sols et dans les formations géologiques lorsqu’elles occupe la totalité des vides qui lui sont accessibles. L’eau y circule, presque toujours très lentement, et on peut la collecter grâce à des puits, des forages ou des galeries drainantes.
2 Le combustible est converti en entrée d’installation en gaz de synthèse, mélange de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène. Puis, lors d’une étape de conversion, le CO réagit avec l’eau pour former du CO2 et de l’hydrogène qui sont ensuite séparés