Projet de loi Grenelle I : OK mais on ne s’arrête pas là !
France Nature Environnement a été rendue destinataire de la version quasi définitive d’un projet de texte fondamental pour l’avenir du Grenelle de l’environnement. Il s’agit d’un projet de loi d’orientation dont le but est de traduire dans la loi les engagements négociés lors du Grenelle de l’environnement. Ce projet devrait être suivi d’au moins deux autres projets de loi plus techniques, qui procèderont des travaux réalisés par les Comités opérationnels mis en place à la suite du Grenelle. Questions réponses avec Sébastien Genest, et Arnaud Gossement, respectivement Président et Porte parole de FNE...
Quel est l’enjeu ?
Le vote de ce projet de loi permettrait de passer une première étape. Il est important que le Parlement valide le compromis issu du Grenelle. Attention, il doit s’agir d’une première étape et il est urgent de ne pas s’y arrêter ! L’enjeu est aussi celui-ci : comment faire mieux et vite ! Pour FNE, ce projet de loi n’est pas une fin en soi mais un nouveau départ de la politique de l’environnement.
Ce texte ne peut pas, par nature, correspondre à l’idéal de FNE : il correspond à un compromis social possible à un moment donné de l’histoire de ce pays, constate Sébastien Genest... FNE accepte et soutient ce compromis, non comme un aboutissement mais comme une première étape vers un idéal pour lequel nous continuons de nous battre sans relâche. Les associations ont combattu pendant tout le Grenelle pour que celui-ci soit une négociation : nous devons défendre le résultat de cette négociation. Notre fédération espère que tous les acteurs du Grenelle respecteront cette règle du jeu. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui nous n’avons pas le temps d’attendre les lendemains qui chantent. Il faut bien comprendre aussi que nous ne pouvons pas nous arrêter à cette première étape !
Ce projet de loi est-il globalement fidèle aux engagements négociés lors du Grenelle de l’environnement, en octobre 2007 ?
Oui. Sous réserve d’une analyse détaillée du texte définitif, ce texte est globalement fidèle aux conclusions des tables rondes. Cependant, le Grenelle n’est pas arrivé au bout de son voyage, et ce sont les deux assemblées qui vont décider de son sort dans les prochaines semaines.
Ce projet de loi qui fixe des objectifs aura-t-il tout de même un impact pour la vie quotidienne des français(es) ?
Si le projet de loi devait être adopté tel quel, il apporterait déjà des changements concrets pour la vie de chacun, comme notamment :
le crédit d’impôt sur le revenu pour aider les travaux et les équipements les plus performants en matière d’économie d’énergie ;
le prêt à taux zéro pour financer des travaux d’ensemble d’amélioration de la performance thermique des logements anciens ;
1 500 kilomètres de lignes nouvelles de métro, de tramways ou de bus d’ici 2020 ;
l’interdiction, pour une bonne qualité de l’eau pour tous les citoyens, de l’utilisation des phosphates dans tous les produits lessiviels d’ici 2010, protection de 500 captages d’eau potable, mise aux normes du parc général de stations d’épuration pour atteindre le taux de conformité de 100 % en 2011 ;
20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective d’ici 2012 ;
l’interdiction de l’utilisation dans les lieux publics et pour les usages domestiques des produits contenant des substances extrêmement préoccupantes pour la santé dès 2008 ;
un débat public au plan national sur l’utilisation des nanomatériaux d’ici le 31 mars 2009 ;
à compter de la rentrée 2009, l’intégration dans les formations initiales et continues des enseignants, des professions de santé et des professionnels de l’aménagement de l’espace d’une sensibilisation santé-environnement.
Que prévoit le projet de loi en matière d’urbanisme ?
Le projet de loi comprend des dispositions positives relevant de bonnes intentions en matière d’urbanisme. Mais il est en même temps très faible sur des points d’importance.
Quelques écarts importants…
pas d’objectif national chiffré de réduction de la consommation d’espace ;
pas de nouvel outil de lutte conte l’étalement urbain (périmètre d’agglomération, politique foncière renforcée, contrôle (police) de la consommation d’espace et de l’imperméabilisation) ;
le projet prévoit que « L’État détermine le cadre général » mais ne veille pas à la bonne application de tout ça !
des éco-quartiers, pourquoi pas, mais en bonne connexion avec l’urbain existant et en en réalisant aussi et surtout dans les tissus urbains déjà constitués ;
des appels à projets innovants énergétiques, architecturaux et sociaux, c’est bien, mais aussi écologiques !
… mais aussi des points à soutenir :
l’obligation d’élaborer des Plans climat/énergie territoriaux pour les agglomérations de plus de 30 000 habitants ;
l’obligation de prendre en compte le climat et les milieux naturels et paysages dans les documents d’urbanisme.
Que prévoit le projet de loi en matière de bâtiments neufs ?
La transcription des engagements du Grenelle dans le domaine des bâtiments neufs et existants est incomplète.
Quelques écarts importants…
pas de programmation de mesures fiscales et financières adaptées pour les bâtiments des générations 2012 et 2020 alors que cette incitation est cruciale pour lancer la dynamique ;
reprise seulement partielle des engagements relatifs à la mise en place et au financement immédiat à l’aide des certificats d’économie d’énergie d’un plan ambitieux « Règles de l’art et formation » ;
… mais aussi des points à soutenir comme la la mise en place immédiate des labels BBC, BEPOS et HQEE de préfiguration des échéances 2012 et 2020.
Que prévoit le projet de loi en matière de transports ?
Les points essentiels des tables rondes ont été repris. Mais FNE constate déjà des glissements par rapport au compromis établi avec des imprécisions sur des points critiques : par exemple, la convergence entre les objectifs mentionnés (- 20% de GES pour les transports) et les moyens mis en oeuvre n'est pas garantie et les résultats ne devraient pas être atteints.
Quelques écarts importants…
la croissance de 25% concerne le fret non routier alors que l'objectif initial était sur le fret ferroviaire (différence importante avec une croissance significative du fret fluvial ou du cabotage maritime) ;
les objectifs pour les autoroutes ferroviaires ne sont plus chiffrés alors qu'ils étaient chiffrés en part de marché ;
la taxation des vols intérieurs a totalement disparu alors qu'elle était prévue (lignes en concurrence avec TGV ou taxe sur les rotations ou taxe sur kérosène).
… mais aussi des points à soutenir :
les objectifs de réduction des GES doivent être respectés. Un point important car il est ciblé sur les transports ;
la redevance (taxe) kilométrique ;
l'objectif de réduction des émissions des véhicules particuliers (et des véhicules utilitaires légers) ;
un financement important pour les transports collectifs.
Que prévoit le projet de loi en matière de biodiversité ?
La rédaction du projet de loi est ici globalement conforme aux conclusions des tables rondes du Grenelle, tous les engagements d’un niveau législatif et relatifs à la biodiversité étant repris. La question du financement reste cependant posée.
La fédération reste mobilisée et apportera une contribution forte pour la mise en oeuvre de ces orientations et notamment la trame verte et bleue comme clef de voûte des politiques de protection de la nature.
Que prévoit le projet de loi en matière d’agriculture ?
Dans ce domaine, les grandes orientations du Grenelle ont été reprises globalement de manière satisfaisante et le développement de la recherche nécessaire pour atteindre les objectifs fixés est bien souligné.
Des points à soutenir…
l’objectif de réduction de 50% en 10 ans de l’usage des pesticides, annoncé de manière satisfaisante, avec cependant la réserve de la mise au point de solutions alternatives ;
l’augmentation des surfaces cultivée en agriculture biologique (6% en 2010, 15% en 2013 et 20% en 2020) et l’augmentation des débouchés (20% de l’approvisionnement de la restauration collective en bio d’ici 2012) ;
des objectifs ambitieux pour la certification environnementale : 50% des exploitations agricoles devront être certifiées en 2012.
… mais aussi des interrogations qui subsistent sur :
les moyens qui seront mis en oeuvre pour soutenir ces objectifs : le seul chiffre avancé est d’un montant de 75 millions d’euros annuels (dans la loi de finances) pour aider les agriculteurs bio ;
l’adhésion des collectivités territoriales qui devront assumer le surcoût du passage en « bio » ;
la réorientation des programmes de recherche : sera-t-elle réalisée à moyens constants ? des crédits supplémentaires seront-ils débloqués ?
la position de la France pour la réforme la Politique agricole commune
Que prévoit le projet de loi pour la thématique santé-environnement ?
La reprise des engagements Grenelle concernant la santé et l’environnement est à géométrie variable, en fonction des thématiques. Nous attendons les projets de loi suivants, qui devraient combler ces lacunes avec des mesures plus précises et fidèles aux travaux actuellement réalisés dans le cadre des chantiers de suivi du Grenelle.
Quelques écarts…
la reprise de seulement 4 mesures du travail de concertation réalisé en matière d’air (extérieur et intérieur), alors que les engagements avaient été forts et assez généraux pour être repris dans la loi Grenelle I. Nous attendons le projet de loi suivant où elle pense évident que le thème de l’air sera repris ;
les engagements sur les nanotechnologies et les champs électromagnétiques ne sont pas intégralement repris. On attend la reprise de ces éléments dans les prochains projets de lois.
… mais aussi des points à soutenir :
la validation de la réalisation d’un PNSE 2 et la reprise des divers acquis des tables rondes sur les thèmes à y inclure ;
des mesures d’interdiction, de suppression des substances les plus préoccupantes, avec l’engagement d’une politique en faveur d’une substitution, et de porter la généralisation de Reach au-delà de l’Union européenne ;
l’inventaire points noirs en matière de bruit avec objectif de résorption des plus préoccupants dans un délai de 7 ans ;
les observatoires du bruit demandés par notre association;
une amélioration sur l’axe bruit aérien.
Faut-il s’inquiéter du financement de ces mesures du Grenelle ?
Le présent texte est une loi d’orientation qui fixe des objectifs, pas une loi de finances qui fixe des financements. Cependant, des précisions quant aux conditions exactes de financement de ces mesures seraient les bienvenues !
Nous rappelons que ce n’est pas seulement à l’Etat c’est à dire au contribuable, de financer intégralement la politique de protection de l’environnement ; conformément au principe pollueur payeur : il faut taxer les activités et pratiques polluantes pour financer les pratiques vertueuses et économes.
Je souligne également qu’il ne faut pas analyser les mesures du Grenelle qu’en termes de coût mais aussi en termes d’économies ! FNE souhaite que tous les acteurs de la société s’engagent dans le financement du Grenelle et bénéficient des avantages économiques liés à la mise en œuvre des mesures du Grenelle : création d’emplois, économies d’énergies etc..
Que prévoit le projet de loi en matière de démocratie écologique ?
Le texte est globalement conforme au Grenelle mais manque de pêche. FNE s’étonne que l’engagement du Président de la République de substituer la décision des 5 acteurs du Grenelle à la décision administrative, pour les projets dangereux, ne soit pas ici repris.
Nous rappelons, enfin, que la création d’une véritable démocratie écologique suppose une réforme ambitieuse de nos institutions comme le Conseil économique et social mais ne doit pas se limiter à ce dernier. Par ailleurs, comme pour les syndicats, il est indispensable de préciser rapidement des critères rigoureux de contrôle de la représentativité réelle des associations de protection de l’environnement.
Que va faire FNE ?
Plutôt que de rester assis dans sa chaise à tout critiquer : convaincre, convaincre, convaincre…
Les débats des prochaines semaines montreront si nos élus sont sensibles à la volonté générale qui s’est exprimée lors du Grenelle. Ce sont les parlementaires qui, par leurs votes, ont aujourd’hui le pouvoir de faire du Grenelle le point de départ d’une révolution écologique ou un enterrement de première classe. Au delà des chamailleries politiques, nous espérons qu’ils feront le bon choix pour notre avenir et celui de nos enfants, conclut Arnaud Gossement.