Ce matin, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) a décortiqué en exclusivité une note formulant des propositions sur l’approvisionnement en métaux critiques, considéré comme un enjeu pour la compétitivité de l'industrie… Le recyclage, mis à l'honneur, a été présenté comme étant une des solutions salvatrices...
Il est bon de rappeler que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) s’est substitué au Centre d’analyse stratégique; au cœur des démarches de réflexion et de concertation nécessaires à la conduite des politiques publiques et à la modernisation du pays, il est rattaché au Premier ministre, qui arrête son programme de travail annuel. Il apporte son concours à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la Nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes.
A ce titre, il impulse et favorise la définition de stratégies d’action à moyen et long terme et le développement des études prospectives, des pratiques d’évaluation des politiques publiques, des bonnes pratiques de concertation et des comparaisons internationales et territoriales. Il travaille en réseau avec les conseils spécialisés.
La matinée d’aujourd’hui était consacrée à l’approvisionnement en métaux critiques…
En préambule, les experts précisent que s'il est vrai que c’est aux entreprises que revient la responsabilité d’une stratégie d’approvisionnement en métaux critiques, l’Etat peut néanmoins les accompagner et les soutenir par ses politiques industrielles, de R&D et de coopération internationale. Il peut également chercher à identifier les métaux pour lesquels des déséquilibres entre l’offre et la demande semblent probables dans les dix prochaines années. La note du CGSP analyse les différents leviers à disposition de l’Etat en la matière et formule des propositions concrètes de politiques publiques.
Et de rappeler que les métaux "mineurs"*, dont la plupart ont une production annuelle 100 fois inférieure à celle des métaux de base comme le fer, le cuivre ou l’aluminium, sont aujourd’hui présents dans un grand nombre de produits de consommation courante et jouent un rôle déterminant dans le développement d’un grand nombre de technologies à haute valeur ajoutée. C’est notamment le cas des terres rares, qui sont utilisées dans les catalyseurs automobiles, les aimants permanents des moteurs électriques ou dans les batteries électriques.
Ces métaux, qui revêtent par conséquent un caractère stratégique pour l’économie, sont sujets à une grande volatilité des prix, voire à des risques d’approvisionnement susceptibles d’altérer significativement la compétitivité des industries qui en dépendent. La disponibilité physique des ressources n’est pas en cause, le problème provient du caractère inélastique à court terme de l’offre, de la concentration des gisements en production dans un nombre restreint de pays, ainsi que d’un certain nombre de facteurs aggravants qui viennent perturber l’offre : les restrictions à l’exportation pratiquées par certains Etats, l’opacité des transactions de gré à gré ou la nécessité de respecter d’indispensables réglementations environnementales et sanitaires.
Par ailleurs, ces métaux sont aujourd’hui présents dans beaucoup de produits de consommation courante et dans de nombreuses technologies à haute valeur ajoutée, notamment dans le secteur des énergies renouvelables. Mais leurs spécificités exposent les industries importatrices à des risques d’approvisionnements et de compétitivité.
Ils se caractérisent ainsi par l’opacité de leurs transactions, réalisées « de gré à gré » sur des marchés non-organisés. Par ailleurs, leur faible valeur commerciale contredit souvent leur importance économique, et peu d’industriels ont ainsi réalisé une véritable évaluation de leurs besoins. De plus, la concentration géographique des gisements en production crée un risque d’approvisionnement, car certains pays producteurs en positions monopolistique ont adopté des orientations stratégiques qui limitent leurs échanges commerciaux : c’est notamment le cas de la Chine. Enfin, certains métaux critiques sont aussi des sous-produits, dont la production dépend de l’extraction d’un métal primaire cristallise les problèmes liés à une offre inélastique et à un défaut d’évaluation de leur disponibilité déjà mentionnés.
La France et l’Union européenne ont pris conscience de la nécessité de sécuriser leurs approvisionnements pour préserver et encourager la compétitivité de leurs entreprises. Face à la volatilité des prix et aux difficultés ponctuelles d’accès, l’enjeu est d’une part de réduire durablement les prix à l’importation par la diversification des partenaires commerciaux et l’ouverture de nouveaux gisements, et d’autre part de diminuer le coût des matières premières dans les produits finaux par un soutien actif à la R&D (recyclage, substitution, économies de matières). Enfin, si les efforts de prospection minière que devront initier les Etats en bonne intelligence avec les populations locales s’avéraient concluants, ils pourraient conduire à une relocalisation industrielle sur le territoire européen.
Afin de mieux cerner la problématique, il sera bon de rappeler quelques éléments clés :
La production annuelle de métaux de base (fer, cuivre, zinc…) se chiffre en dizaines de millions de tonnes à la différence des métaux mineurs (d’une cinquantaine de tonnes pour le rhénium à moins de 200 000 tonnes pour l’antimoine).
L’approvisionnement en métaux mineurs concerne avant tout les industries de la chimie, de la pharmacie, de l’automobile et de l’aéronautique qui représentent près de 680 000 emplois (2010) et devraient produire 33% de la valeur ajoutée de l’industrie française en 2030 (contre 25% en 2010).
En 2012 la Chine a assuré plus de 80% de la production annuelle d’antimoine, de bismuth, de magnésium, de terres rares et de tungstène.
5 autres Etats occupent une position dominante sur ces marchés : le Brésil, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, la RDC et le Chili.
La Commission européenne a lancé en 2008 l’initiative « Matières premières » qui englobe tous les enjeux relatifs à l’approvisionnement en métaux critiques
La France a créé en 2011 un Comité pour les métaux stratégiques (COMES)
Dans ce contexte, le CGSP formule sept propositions destinées à anticiper les problèmes d’approvisionnement et assurer la compétitivité de l’industrie :
Rechercher sur le territoire la présence de métaux stratégiques en analysant les prélèvements de l’inventaire minier et en recourant à des méthodes de caractérisation depuis la surface et à des forages, dans le respect du Code minier.
Développer la recherche portant sur les ressources minières sous-marines.
Identifier les principaux besoins de rechercher liés à l’ « éco-conception », au recyclage des métaux ainsi qu’à leur substitution et participer activement aux programmes de recherche communautaires.
Renforcer les moyens du Comité pour les métaux stratégiques afin de publier, en collaboration avec le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et en liaison avec les homologues européens de ces institutions, une prospective régulière sur l’accès aux métaux les plus critiques au cours des dix prochaines années et sur les stratégies possibles d’approvisionnement.
Encourager la publication de données agrégées sur la production de sous-produits du cuivre, du nickel, du plomb et du zinc par les groupes d’étude internationaux correspondants.
Développer, sur la base des organismes existants, des filières de formation spécialisées destinées aux jeunes diplômés et aux cadres, ouvertes à l’international avec l’attribution de bourses d’excellence.
Au niveau européen, favoriser des partenariats entre industriels du même secteur et à différents niveaux de la chaîne de valeur sur le modèle de l’initiative lancée en Allemagne.
La conclusion de ces travaux met en valeur la nécessité du recyclage et se résume ainsi :
"La criticité des métaux nécessaires à l’industrie française et européenne dépend en grande partie de l’évolution des technologies, qui détermine la demande mondiale, mais aussi des orientations adoptées par les principaux pays producteurs. La concentration des ressources est en effet le principal déterminant des problèmes d’accès que connaissent les pays européens.
Les métaux mineurs, qui se caractérisent par une production modeste par rapport aux métaux de base, sont par ailleurs indispensables aux industries du futur.
La France ne peut espérer poursuivre un développement industriel ambitieux à long terme sans une stratégie adéquate pour répondre aux tensions sur l’approvisionnement de ces matériaux.
Comme aux États-Unis, en Chine, au Japon et dans certains pays européens, les pouvoirs publics sont désormais conscients de la nécessité de mettre en oeuvre des politiques dédiées. La création du COMES et la mobilisation du ministère de la Recherche et de
l’Enseignement supérieur en faveur du développement de techniques de recyclage sont autant de premiers pas en la matière. Reste à donner à cette stratégie et à ces efforts une envergure nationale, s’intégrant dans l’initiative européenne existante, et à les articuler autour de coopérations impliquant une diplomatie des matières premières".
Pour plus d'informations : Approvisionnements en métaux critiques - Un enjeu pour la compétitivité des industries française et européenne.
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*Selon la définition de l’Association dédiée aux métaux mineurs (Minor Metals Trade Association- MMTA), il s’agit des métaux qui ne sont pas échangés sur les marchés organisés comme le London Metal exchange (LME). L’association en recense 49, dont le tantale, le néodyme, le tungstène ou encore le lithium.