Matussière : redémarre ou redémarre pas???…
Pour celles et ceux qui s’intéressent de près au recyclage des papiers, le feuilleton « la vie de Matussière n’est pas un long fleuve tranquille » a de quoi passionner : au lendemain de la liquidation judiciaire du groupe gros consommateur de papiers recyclés et fervent promoteur des produits papetiers issus du recyclage, une rébellion éclate à l’usine de Turckheim où quelques 150 personnes manifestent leur soutien à l’idée de sauver au moins 90 emplois… Quelques épisodes plus tard, un repreneur, ancien cadre de l’usine fait sa demande … Mais il n'est pas seul sur les rangs et le suspense continue!
Le groupe (quatre unités de production à Voiron et Lancey, en Isère, Lédar, en Ariège, et Meylan 50, à Turckheim) a été placé en redressement judiciaire fin avril. Et en liquidation judiciaire le 23 septembre.
Nous sommes en décembre, juste quelques mois après la prononciation de la liquidation du groupe par le tribunal (voir notre dépêche). Au lendemain de la décision tant redoutée de celui-ci, quelque 150 personnes organisent la contestation en manifestant en faveur du projet de reprise, devant la papeterie en liquidation Matussière et Forest de Turckheim (Haut-Rhin), et ce à la demande de la Filpac et de l'Union locale CGT de Colmar. La mobilisation est immédiate autour du pôle de production de papier journal. En jeu, le sauvetage de 90 emplois et d'un savoir-faire industriel reconnus par l’ensemble de la profession. Mais aussi d'une tradition à laquelle on tient...
Car la papeterie à Turckheim, c’est sacré : cela fait 300 ans en effet que la cité a sa papeterie. Le site actuel étant le résultat du regroupement de deux entités. La première usine, créée en 1713, a été reprise par Ignace Schwindenhammer en 1798. Ses descendants lui succéderont jusqu'en 1971. D'abord vendue à la société Aussedat-Rey, elle passera entre les mains de Matussière et Forest en 1985. La seconde, l'entreprise Scherb, a été fondée en 1861. Elle entre dans le giron de Matussière et Forest cent ans après.
Une fois à ce stade, reste quand même et avant tout, la question de savoir s’il y aura reprise partielle ou démantèlement de la papeterie…car le tribunal de commerce de Grenoble devait en effet se prononcer le 15 décembre sur deux offres de reprise, ou décider de vendre l'outil industriel aux enchères.
Les craintes de Jean-Marie Rocklin, représentant de la Filpac-CGT, sont immédiates : « il pourrait privilégier la seconde solution », pour des raisons financières. Le syndicat a donc activé le ministère de l'Industrie, les élus, les anciens salariés du site, les habitants avec pour objectif d’infléchir la décision ...
Parmi les deux projets, celui de Christiane Vulvert, secrétaire générale de France-Soir candidate au rachat, qui bénéficie du soutien des salariés, habitants et élus qui ont fait bloc.
« Les carnets de commande sont pleins. Si l'ordonnance est rendue le 15, nous pouvons remettre en route les machines entre Noël et nouvel an », avait même annoncé Christiane Vulvert. De fait, son projet de reprise partielle permettrait de sauver, dans un premier temps, 90 des 182 emplois existants avant la liquidation judiciaire de la papeterie, au mois de septembre. Le plan de sauvetage fait appel au savoir-faire du personnel puisqu'il s'agit de fabriquer du papier de qualité incorporant des quantités impressionnantes de papier recyclé (voir notre exposé)...
Un autre projet qui, lui aussi, a ses défenseurs, est celui d’anciens cadres dirigeants de l’usine, Pierre Gavelle, directeur technique pendant six ans, puis directeur de l'usine ariégeoise du groupe de 2006 à 2008, et Armand Giambérini, son associé, entrepreneur de Turckheim. ...
Les jours passent et pour finir, la nouvelle tombe : elle constitue un cadeau de Noël pour les Turckheimois puisque la papeterie Matussière et Forest doit reprendre son activité dès 2009. Le tribunal de commerce de Grenoble a en effet validé l'offre régionale des anciens dirigeants.
On ne parlera plus de Matussière et Forest, ni de Meylan 50. « Nous lui donnerons sans doute le nom de Papeterie de Turckheim, tout simplement». Dès l'annonce de la décision, les repreneurs de l'usine se sont évidemment réunis pour préparer le redémarrage de l'usine.
Pour autant, la satisfaction des papetiers de Turckheim à l’annonce d’un redémarrage de l’usine n’est pas totale. Le plan Gavelle garde pour eux des zones d’ombre. Les éditeurs, écartés, espèrent en effet une issue plus « carrée ».
« L’essentiel, c’est qu’un plan de reprise ait été retenu avec la sauvegarde de 90 ou 95 emplois, et non pas une vente aux enchères qui aurait abouti au démantèlement de l’usine », tempère Jean-Marie Rocklin pour la Fédération du Livre CGT. Celle-ci organisait quand même un meeting, devant la papeterie, suite à la décision prise le 26 décembre par le juge commissaire Max Augier qui, entre les deux offres d’achat présentées d’une part par un groupe d’éditeurs, de l’autre par d’anciens cadres de Matussière et Forest, a retenu la seconde.
Un recours… et ça repart ???
Sauf que Christiane Vulvert s’est jointe à ce rassemblement pour annoncer qu’avec les éditeurs, elle avait décidé d’introduire un recours en annulation contre la décision du juge. « La procédure est entachée d’anomalies », estime la secrétaire générale de France-Soir qui base son action, « sur le dépôt de dossier de reprise hors délais de son compétiteur et sur le caractère mieux disant de sa propre offre. Elle indique également « vouloir concentrer l'activité de l'usine sur le papier journal et disposer de commandes déjà assurées ».
Le tribunal de commerce de Grenoble devra donc à nouveau statuer sur la reprise partielle de la papeterie de Turckheim depuis que l'éditrice, a déposé le 30 décembre dernier, son recours en annulation de l'ordonnance retenant l'offre de Pierre Gavelle qui s’est empressé, le même jour, de déposer les statuts de sa société.
Ce sera donc un « véritable feuilleton à rebondissements » jusqu'au bout, comme l’a souligné Me Philippe Froehlich, le mandataire de justice de la papeterie Matussière et Forest de Turckheim…
Gageons en tout cas que la vie de ce grand papetier soit loin d’être terminée.
L'examen de ce recours, qui n'est pas suspensif, devrait avoir lieu dans la première quinzaine du mois de Janvier...