La fuite de matières ne concerne que les déchets à forte valeur ajoutée : le DEEE est évidement visé ; mais il n‘est pas seul...
Le gisement des DEEE est compris entre 17 et 23 kg/hab. La collecte s’effectue de plusieurs manières : on estime que la filière pilotée par les éco-organismes en récupère environ 7kg ; 7 kg sont collectés avec les ordures ménagères ou la ferraille, 4 à 8 kg (difficile d’être plus précis) partent avec des filières « non documentées » le plus souvent illégales, a expliqué Roland Marion (Ademe), lors du colloque Filières et Recyclage…
Il faut bien comprendre que « le commerce illicite des déchets sape les conventions internationales, sape les installations de traitement légitimes et entraîne la perte de matières premières récupérables, menaçant ainsi la viabilité économique à long terme et le développement national », complète Ioana Botezatu (Interpol), qui confirme aussi que dès 2006, alors que la REP D3E se met en place, on a créé « le groupe de travail sur la criminalité liée à la pollution. Les membres de ce groupe lancent des recherches globales pour identifier les risques les plus élevés de criminalité liée à la pollution et l’implication des groupes de crime organisé. Les études de cas collectées mettent en valeur des activités relatives au trafic illégal des déchets, et des substances qui appauvrissent la couche d’ozone ».
Trois ans plus tard, on créait un autre groupe de travail de l’Interpol, celui sur le trafic illégal de DEEE. «L’objectif est de combattre ces trafics, dans les pays importateurs comme l’Asie et certaines régions d’Afrique… En 2013, l’opération Enigma permettait par ailleurs de travailler sur l’Europe et l’Afrique. 240 tonnes de D3E ont été récupérées et 40 enquêtes ont été diligentées auprès des entreprises »…
Et les Douanes ?
« La DGDDI doit assurer une double mission », indique pour sa part Thaddée Caillosse, de la direction générale des douanes et droits indirects : « faciliter le commerce licite et lutter contre la fraude », rappelant par ailleurs que « les flux intracommunautaires ne sont pas soumis à déclaration en douane et sont donc faiblement traçables… étant entendu que dans une déclaration de douane, la partie réservée à l’espace tarifaire de la marchandise (pour ce qui touche aux flux avec des pays tiers) ne permet pas toujours d’identifier un déchet du fait de la difficulté de faire correspondre le tarif des douanes avec la définition juridique du déchet »… « la difficulté à appréhender les flux illicites est accentuée par la volumétrie (9 millions de déclarations annuelles, ndlr) qui renforce le besoin de coopération avec l’autorité compétente, afin de cibler les flux à risque, sans entraver le commerce licite »…
Il serait sans doute opportun de travailler à la qualification juridique de la marchandise afin de pouvoir faire le distingo entre déchet, sous produit, produit usagé, produit sorti du statut de déchet… et mieux identifier la marchandise dans le tarif des Douanes (des travaux en cours vont dans ce sens). Sans doute faudra-t-il, aussi, travailler à une meilleure appréhension des acteurs (recycleurs, courtage, etc...)
« Pour développer une compréhension commune, notamment vis à vis des contraintes opérateurs, la coopération avec l’autorité compétente est indispensable ; je signale à cet égard, qu’un protocole de coopération est en cours de finalisation », ajoute également Thaddée Caillosse. Dans un registre complémentaire, le règlement 660/2014 modifie le règlement de base et introduit (enfin) la notion de plans d’inspections (favorisant ainsi l’harmonisation des contrôles au niveau européen)…
Pour faire court, on estime que « 20, à 40% du gisement des DEEE échappent aux filières structurées ; en 2009 , Interpol a d’ailleurs estimé qu’une tonne de DEEE exportée illégalement représentait 450 euros de profits pour la filière illégale », argumente Roland Marion…
On rappellera en effet, que les terres rares et autres métaux stratégiques contenus dans les cartes électroniques ne sont pas sans valeur… « En 2012, le gisement disponible à la collecte était de l’ordre de 37 000 tonnes tandis qu’au cours de cette même année, on a collecté 9 872 tonnes » (seulement, serait-on tenté de dire). Si le delta est important, il ne faut pas déduire que tout part vers les filières illégales. Mais il reste que l’on subit bel et bien une perte en ligne sévère : avec une concentration variant entre 100 et 200 grammes d’or/tonne, ce sont plusieurs tonnes de métal jaune, et accessoirement quelques dizaines de millions d’euros, qui s’évaporent, sont enfouis ou incinérés…
Dans la mesure où la demande d'appateils électriques et électroniques ne faiblit pas, il faudra extraire pour compenser, plusieurs centaines de milliers de tonnes de minerai d’or, qui présenteront évidement des teneurs plus faibles et nécessitant des techniques de traitement des minerais beaucoup plus lourdes et, pour certaines au moins, sacrément polluantes…
« Ces fuites de matières sont principalement le fait de pratiques illégales. Lors de la captation du gisement d’abord, objet de pillages en déchèteries. Au regard de la règlementation ICPE ensuite. Le recyclage à l’échelle industrielle permet de créer de la valeur sur le territoire et de réutiliser la manière de seconde main ; mais elle permet aussi, et c’est essentiel, de le faire dans les conditions environnementales et sociales optimales. Le recyclage matière est en effet souvent accompagné d’une nécessaire opération de dépollution, parce que le site est soumis à réglementation ICPE ». On ajoutera à cela que les filières illégales violent « évidemment la réglementation relative au transfert international de déchets, la convention de Bâle de 1989 et le règlement européen de 2006 », pour être précis.
Les composants intéressants, sources de matières premières, parfois à haute valeur ajoutée, sont rarement aisés à dénicher : ils sont en effet, le plus souvent au coeur des produits, ce qui nécessite alors une opération de dépollution préalable. Qu’il s’agissent de gros électroménager ou de VHU, les fluides qu’ils contiennent doivent être prélevés avec quelques précautions avant toute opération de recyclage à proprement parler, ce qui génère bien sûr, des coûts pour l’entreprise qui travaille « correctement », tandis que la filière illégale ne s’embarrassera pas de ces considérations (ce qui aboutit, en plus d’une pollution effective, à une concurrence déloyale)… dans certains cas, on ajoutera des risques pour les opérateurs travaillant sans aucune forme de précaution…
« Il sera bon d’insister sur un point : la filière illégale n’a ni les moyens, ni l’ambition de développer des techniques permettant de récupérer l’ensemble des fractions valorisables d’un produit en fin de vie. Certains matériaux présents en forte concentration et facilement accessibles pour peu que l’on fasse fi de contraintes environnementales suffisent souvent à la filière illégale »…
C’est le cas du cuivre « présent sous forme de bobines dans différents appareils électriques. Une fois débarrassé du cuivre, facilement accessible, le déchet est abandonné sur place » … Pourtant, il contient souvent d’autres matières rares et précieuses. Là encore, l’exploitation minière va devoir compenser en partie la perte de matière pourtant présente localement mais perdue en filière illégale …
Autre point qu’il est intéressant de souligner, l’aspect purement économique : l’économie d’échelle est fondamentale, en effet, dans bien des domaines et dans celui du recyclage en particulier. « Pour permettre le développement de technologies permettant l’extraction d’un maximum de matière en quantité, et en nature (avec les investissements nécessaires qui en découlent), un garantie de volume d’approvisionnement et de gisement est impérative. Les filières illégales, qui captent une part importante du gisement, déstabilisent l’équilibre économique de l’industrie du recyclage en freinant la massification des flux », réaffirme également l’orateur…
Last but not least... On ne le dira jamais assez : l’industrie légale du recyclage est soumise à moult textes réglementaires, aux règles sociales, environnementales (ICPE, Reach, transferts transfrontaliers de déchets, etc.), ce qui implique des coûts qui n’ont rien de négligeables... Pour la raison indiquées ci dessus, il est plus que nécessaire de mettre les bouchées doubles pour combattre les sites illégaux. C’est sans compter, en outre, que les personnes mal informées seraient sans doute tentées d’amalgamer le véreux et l’honnête, ce qui aboutirait à la dégradation d’une image désormais favorable du recyclage au sein de l'opinion publique, quand celle-ci a mis des années à se construire et se constituer.