Cyclope 2011 vient de paraître. Agé de 25 ans, cet ouvrage de référence piloté par Philippe Chalmin, professeur d'histoire économique à Paris Dauphine, fait l’inventaire chaque année du marché des matières premières... Toujours dopés par la Chine, les prix de celles-ci ont poursuivi leur envolée en 2010, une ascension parfois irrationnelle qui pourrait laisser présager une correction en 2011. C’est du moins, ce qu’escomptent les experts du rapport Cyclope, présenté ce 17 mai à Paris...
En 1986, année de naissance du rapport Cyclope le pétrole vaut 10 dollars le baril... (en raison du contre coup de la crise qui a précédé et secoué les marchés). Souvenons nous : la déflagration avait même failli emporter le LME. L’accord cadre café s’était autodétruit, tandis qu’on assistait aussi à l’échec de l’embargo américain avec les soviétiques... Nous étions à l’époque du contre choc pétrolier, de la disparition des accords internationaux sur l’étain, les prix des matières premières et des commodités allaient pratiquement connaître deux décennies de cours déprimés alors que flambaient les marchés financiers et que le monde connaissait sa troisième révolution industrielle autour notamment des technologies de l’information...
Le 25ème rapport Cyclope voit le jour dans un contexte bien différent, à un moment où la plupart des marchés enregistrent des niveaux records, des céréales aux métaux non ferreux, du coton au marché de l’art...
La chute vertigineuse des prix au cours du second semestre 2008 (et ses effets dévastateurs sur bien des marchés) est complètement effacée aujourd’hui. Le record est battu : en avril 2011, les prix mondiaux des matières premières ont dépassé leur pic de juillet 2008. La reprise mondiale est passée par là, faisant largement oublier la crise de 2008...
En 25 ans, on est passé du stable à l’instable pour ce qui touche aux marchés mondiaux des matières premières...
L’Opep vient de perdre le contrôle du marché du pétrole, les agriculteurs sont devenus spéculateurs, et regardent le prix des matières d’une autre manière... « Il n’y a jamais eu autant d’instabilité ; tout est facteur de marchés, tout bouge, tandis que les produits dérivés explosent...
Jamais les prix n'ont été aussi élevés : l’indice global des prix a augmenté de 30 % sur un an. Derrière la moyenne se cachent pourtant des évolutions contrastées allant de seulement 1% pour le soja à 100% pour les ferrailles. Mais rares sont les produits dont les prix ont reculé comme celui du riz à -10%. On assiste à un véritable choc, le plus important depuis les années 70 », avertit Philippe Chalmin.
Cette « malédiction des matières premières » est, estime-t-il, à l'origine des révolutions qui touchent le monde arabe depuis le début de cette année.
Si les prix ont augmenté de 30% dans leur ensemble, les hausses les plus fortes ont été enregistrées pour le caoutchouc (+ 89%), le coton (+ 65%), le minerai de fer (+ 62%), l'étain (+ 50%) ou le nickel (+ 49%).
Les métaux ne sont donc pas épargnés par cette euphorie, au premier rang desquels figure le métal rouge, toujours à la faveur d’un rebond de l’économie mondiale, et de l’appétit chinois qui ne connaît pas de limite. Le cuivre, que la Chine consomme à grande échelle, vient pour sa part d'atteindre un record à 10 000 dollars la tonne (+ 46%).
Un métal dont les cours ont tendance, toutefois, à être très volatiles. En mai 2010, il se hissait à 8000 dollars la tonne pour redescendre un mois plus tard de près de 2000 dollars et finir l’année dernière à 9960 dollars la tonne.
Métaux non ferreux toujours, c'est l'aluminium qui devrait connaitre la plus forte progression cette année, au-delà de 20%. Plus que jamais les métaux précieux joueront le rôle de valeurs refuges « à la limite de l'irrationnel ». L'argent devrait encore bondir de 25% et l'or pourrait progresser de 15%. « Mais monter beaucoup plus haut surtout si l'on parle à nouveau de retour à l'étalon or ».
On saluera au passage, le remarquable travail de précision de George Pichon qui fait l’inventaire, sur quelque 23 pages, des marchés des petits métaux (ou métaux rares)… De l’Antimoine au Zirconium, il passe en revue chacun des marchés des 24 métaux concernés : un véritable travail d’orphèvre…
Pour faire synthétique, sur un certain nombre de marchés, et notamment sur celui des métaux, nous faisons face à des prix fous par rapport à la demande, souligne Philippe Chalmin. Selon lui, la Chine, premier importateur mondial de bien des matières premières, du soja au minerai de fer, pourrait aussi être tentée, afin de contenir l'inflation galopante et la flambée de l'immobilier, de ralentir sa croissance et d'être de ce fait moins gourmande, ce qui offrirait une détente sur les cours ...
Le cas du caoutchouc naturel est exemplaire : il a vu son prix multiplié par 4 en deux ans, ce qui constitue la plus forte progression des matières premières sur un an, à + 89 %. « Le caoutchouc a largement franchi, en décembre 2010, son plafond historique, en atteignant 4850 dollars la tonne après être tombé au plus bas de son histoire en décembre 2008 (1100 dollars). La hausse soutenue de la demande asiatique et en particulier celle de la Chine nouveau leader mondial de l’automobile devant les États-Unis et gros consommateur de pneumatiques explique cette forte progression», remarque Jérôme Sainte-Beuve, expert de cette matière et auteur d’un rapport sur ce sujet.
Les céréales ont progressé en 2010, le maïs prenant 15% et le blé en Europe 26%. Seul le prix du riz a reculé de 10% grâce à une hausse de la production. « Il n'y a pas de risque de pénurie mais indéniablement une augmentation de la demande mondiale et une faiblesse des stocks. Tout cela n'est pas très sain », indique François Luguenot, spécialiste des matières agricoles et rédacteur de cette partie du Cyclope.
Le cours du café a lui aussi explosé : + 27%. Les principaux pays producteurs latino-américains comme le Brésil, la Colombie ou le Mexique ont connu de mauvaises conditions météorologiques qui ont fait craindre une baisse des récoltes. « Si le café est très très cher, les cours sont équitables pour les producteurs », indique le spécialiste....
Que va t-il se passer en Russie ?
La sécheresse qui sévit dans le nord-ouest de l’Europe et notamment en France mais aussi les semis de printemps en retard en Russie et aux États-Unis (pour le maïs) sont autant de facteurs inquiètants. Ce ne sera pas sans impact sur l’export... Et comme le monde a faim...
Mais... il n’y a «pas de risque de pénurie», rassure François Luguenot, analyste chez InVivo.
Dommage en tout état de cause qu’on ne puisse s’étendre dans nos colonnes, sur le chapitre de la viande : comme chaque année, on a pu se délecter des propos de Jean-Paul Simié, spécialiste passionnant de ce sujet...
« Gardons à l’esprit que lorsque les prix flambent, les peuples sont malheureux... Nous sommes sur le fil du rasoir en cette fin de campagne 2010-2011», constate Philippe Chalmin.
Pour ce qui est de l’énergie, si le pétrole a fait preuve de stabilité autour des 80 dollars le baril avec de légères tensions sur les derniers mois de 2010, le marché du charbon a connu une fin d'année tendue en raison, notamment, des inondations qui ont affecté le Queensland (Australie), premier exportateur mondial de charbon à coke. Le prix de l’uranium baisse ; les événements au Japon n’y sont évidemment pas étrangers...
« Si le monde peut se passer du gaz de schiste français, il est à craindre que les Français doivent payer leur énergie un peu plus cher », souligne encore Philippe Chalmin : « on ne veut pas du nucléaire, on ne veut pas du gaz de schiste, on veut de l’éolienne pour faire de la gentille énergie »... Avec ça...
La grande inconnue reste la spéculation, puisque les fonds placés par des investisseurs institutionnels soucieux de diversifier leur portefeuille ont atteint plus de 300 milliards de dollars en 2010.
L'encadrement de certains marchés laisse encore à désirer.
La régulation des prix des matières premières et leur volatilité sont d'ailleurs, avec la réforme du système monétaire international, l'un des principaux chantiers de la présidence française du G20.
Le Cyclope 2011 reste à n’en point douter un ouvrage de référence (publié par Economica, il est proposé au prix de 125 euros). On regrettera, spécifiquement cette année, avoir vu le chapitre « vieux » papiers se réduire à une petite page et demi (quand bien même les échanges mondiaux sont de l’ordre de 50 millions de tonnes), tandis que celui des ferrailles a, lui aussi, minci (alors même que 100 millions de tonnes marchandes circulent d’un pays à l’autre afin d’alimenter la sidérurgie électrique mondiale). On pourra lire notamment Ferrailles et instabilité du monde...
Bref. C'est dommage… Surtout à l’heure où une réglementation européenne s’instaure, mettant en avant le recyclage comme partie intégrante de l’économie, considérant les matières recyclées comme étant des matières premières à part entière, même si d’aucuns les appellent encore « matières secondaires », tandis que d’autres ont déjà franchi le pas en les dénommant « nouvelles matières premières »…