Mâchefers : le débouché doit être assuré pour que vaille le «coût» de recycler
Les mâchefers, dont la qualité dépend de la composition des déchets, sont en effet les résidus d’incinération résultant du traitement des ordures ménagères par les syndicats en ayant la charge. Pour fabriquer de la grave de mâchefers, trois étapes sont nécessaires : scalpage ou pré-criblage, criblage, maturation. On obtient ainsi un matériau inerte composé à 80% de silice, d’alumine, de calcaire et de chaux, utile pour la réalisation de structures routières par exemple. L'économie circulaire consistant à « de ne pas jeter ce dont on a besoin par ailleurs », on ne peut que s'étonner de devoir constater que si la Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas ont clairement misé sur un objectif visant à maximiser, de manière responsable, le recyclage, la France semble caler, si ce n'est faire une petite marche arrière...
Avec bon sens et pour se conformer à l'objectif (économie circulaire), les Pays Bas ont d'ailleurs voté une loi, en 2013, afin de réglementer l’utilisation des graves de mâchefers dans la fabrication du béton. Ces graves peuvent être utilisées en talus et en sous-couche routière, en merlon anti-bruit, en matériau de fondation de route, étant entendu que les mâchefers sont désormais interdits de décharge, afin d'encourager le recyclage. L'uniformité, bien encadrée, est donc de mise.
En France, alors que la grave de mâchefers est reconnue comme étant un produit fiable de technique routière et un matériau parfaitement adapté aux utilisations en remblai, en couche de forme et fondation, l'arrêté ministériel du 18 novembre 2011 scelle le sort du mâchefer : en le déclassant de produit en déchet, malgré d’excellentes caractéristiques techniques éprouvées depuis plus de 20 ans (les producteurs français de mâchefers,précisent néanmoins qu'il est indispensable de respecter des règles spécifiques lors de son emploi), on a organisé (sans le vouloir?) un effondrement du marché, ce qui n'est pas sans inquiéter les professionnels du recyclage de ces déchets.
Depuis la publication de cet arrêté, « les syndicats mixtes chargés de gérer l’enlèvement et le traitement des résidus ménagers se défaussent de leurs obligations », déplore Ypréma, rappelant qu'en « leur qualité de producteur, ils restent propriétaires et responsables de leurs déchets, jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers » (article L.541-2 du Code de l’environnement).
Sauf qu'à partir du moment où le matériau recyclé reste juridiquement un déchet, on peut comprendre que l'on soit sans doute moins enclin à l'utiliser à tout va... Chacun semblant y aller, depuis lors, à sa manière...
Si Reims Métropole joue le jeu depuis longtemps (et continue sur cette voie), considérant que l'utilisation du mâchefer recyclé sur son territoire est une opération gagnante, dans les Pyrénées Orientales, l'usine de Calce, Cydel, qui recycle ces résidus est confrontée à un débat qui a donné lieu à une procédure judiciaire, tandis qu'en Ile de France, des syndicats tels que le Sietrem ont bel et bien mis le frein sur l'utilisation de ce matériau recyclé alors qu'auparavant, 55% des quantités étaient réutilisées sur le territoire... Il semble bien réel qu'il n'y ait plus uniformatité
En 2005, Reims Métropole qui rassemble 16 communes et environ 220 000 habitants, a choisi d'investir dans un centre de tri et une plate-forme de valorisation de ses mâchefers (voir Mâchefers : Reimps Métropole tient la route). « Les matériaux produits sont utilisés localement, dans un rayon de 30 km et depuis 2005, ce sont 200 000 tonnes de mâchefers recyclés en grave de mâchefers qui ont été utilisés dans l’agglomération : non seulement rien n'a été mis en décharge, mais la collectivité a pu ainsi réaliser 1 million d’euros d’économie par an »... « Pour la seule année 2015, 14 043 tonnes de mâchefers ont été valorisées ; il a résulté du process, 13 384 tonnes de grave de mâchefers livrées surchantier, 164 tonnes de métaux non ferreux, 388 tonnes de métauxferreux, et 263 tonnes de cailloux ».
Dans les Pyrénées Orientales, le conseil départemental a considéré que l'utilisation des mâchefers pour l'enrobage de sous-couche des routes, pourrait être une source de pollution pour les nappes d'eau profondes ; à la suite de quoi, le dernier schéma de gestion des déchets a introduit une interdiction d'emploi de ceux-ci, ce qui a donné lieu à une procédure judiciaire mise en œuvre par l'entreprise qui recycle ces résidus de longue date pour en faire des produits qui contestait ce choix politique, s'appuyant pour ce faire, sur la réglementation et les usages en vigueur sur l'ensemble du territoire français. Le tribunal administratif de Montpellier a prononcé, le 8 mars dernier l'invalidation du plan de gestion des déchets en question, tandis que le conseil départemental des Pyrénées-Orientales a fait appel de la décision...
Sur le territoire du Sietrem, l'usine d'incinération des déchets ménagers de Saint-Thibault des Vignes produit environ 30 000 tonnes de mâchefers par an, lesquels sont transformés en grave de mâchefer par Ypréma. L'âge d'or de la grave de mâchefers est révolu et le revirement de situation très significatif : si pendant des années, les communes adhérentes du syndicat ont absorbé plus de 50% de la grave issue de la valorisation des mâchefers de l'UIOM, si elles ont permis l'écoulement de 18 300 tonnes en 2012, puis de 8200 tonnes environ en 2014, on est aujourd'hui à un taux de consommation de moins de 5% (avec 1250 tonnes à peine), tant il est avéré que l'on a quasiment cessé de prescrire l'utilisation de ce produit dans les travaux publics mis en oeuvre... (Voir aussi : Mâchefers : ça eut payé).