Mâchefers : c'est chaud en Isère...
Les mâchefers sont les résidus de l’incinération des déchets ménagers et sont eux-mêmes considérés comme des déchets non-inertes (1). Ils concentrent à la fois les métaux lourds et autres polluants plus ou moins dangereux présents dans les déchets ménagers et les dioxines, les furanes ainsi que les imbrûlés résultant de l’incinération, rappelle volontiers la Frapna. Or, environ 2 millions de tonnes par an de mâchefers sont « valorisés » (2) dans des chantiers de remblais, sous-couches routières, centres commerciaux, lotissements, collèges… (3), sans connaissance des impacts possibles sur l’environnement, ni contrôle a posteriori. Il y a urgence à agir, plaide la Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature.
Sauf que tout n'est pas si simple... Des acteurs du monde économique (notamment des sociétés de travaux publics) soutiennent, qu’après élaboration et maturation, les mâchefers dits « valorisables » sont inoffensifs. Ce à quoi répondent les associations qu'il n’existe pas d’études indépendantes fiables sur ce point. Une récente pollution des eaux souterraines aux dioxines par un dépôt sauvage de mâchefers « valorisables » sur le site d’Aviernoz en Haute–Savoie justifie les inquiétudes des associations concernant les risques environnementaux et sanitaires d’une telle pratique.
On rappellera que certains acteurs économiques vendent les mâchefers, en les considérant comme des « produits » (avec des marques déposées…), ce que la Frapna voit évidemment d'un très très mauvais oeil, ne manquant pas de rappeler que « juridiquement les mâchefers d’incinération, sont toujours des déchets (4), quelle que soit leur charge en polluants et les risques de relargage qu’ils présentent».
Et d'ajouter que le Ministère n’a pu que le confirmer dans une récente lettre à l’association APIE (5) (17/4/2012) (6), membre de la Frapna.
Un déchet ne peut devenir un produit que moyennant le respect d’une procédure spécifique, celle de « sortie du statut de déchet », laquelle ne concerne pas les mâchefers à ce jour.
Qui a peur de la vérité sur les mâchefers, s'interroge Eric Feraille, Président de la Frapna ?
D’ailleurs, la valorisation des mâchefers sous forme de « produits » (qu’ils ne sont pas) aurait impliqué le dépôt, par ces mêmes acteurs économiques, d’un dossier REACH (Réglementation Européenne de la Chimie -7). Là encore, « les lettres de l’Agence Européenne de la Chimie (ECHA) à notre association membre (APIE) l’ont confirmé (8). Si un tel dossier n’a pas été déposé par ceux qui « valorisent » les mâchefers comme des produits, c’est soit qu’ils savent en réalité qu’il s’agit de déchets (ce qui revient à tromper leurs clients en connaissance de cause), soit qu’ils ne veulent pas prendre le risque que les procédures rigoureuses exigées par la réglementation REACH mettent en évidence la dangerosité des mâchefers liée à leur caractère toxique».
« Les mâchefers sont des déchets. Ils concentrent des polluants dangereux. Leur étalement dans l’environnement sous des chantiers de travaux publics, sans réaliser et publier les études sur leurs impacts environnementaux et sur la santé, est inacceptable »...
Mais « déchets » ou « produits », là n’est pas la question, expose la Frapna. Ce qui importe pour les associations, c’est de déterminer l’acceptabilité même des mâchefers utilisés « valorisés » en techniques routières ou pour des aménagements divers.
Aujourd’hui, les salariés manipulant les mâchefers et les riverains sont susceptibles d’être exposés directement à des risques mal connus (risques liés aux poussières, par exemple), argumentent nos interlocuteurs. Mais surtout la banalisation de leur utilisation à l’aveugle, malgré les polluants qu’ils recèlent, revient à faire de la nature une pure et simple décharge sauvage, conclut l'association.
Et l'organisation présidée par Eric ferraille ne manque pas de nous rappeler que la loi impose le traitement des déchets en installations classées, moyennant des prescriptions strictes pour éviter risques et dangers pour les personnes et l’environnement. Pour les mâchefers, le laxisme des pouvoirs publics et les négligences de certains opérateurs économiques sont intolérables. Des déchets comme les mâchefers ont vocation à être mis en décharges contrôlées, tant que la preuve transparente de l’innocuité de leur utilisation n’aura pas été apportée.
Dans cette logique, elle considère que tout chantier recevant des mâchefers doit être considéré comme une décharge...
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1 Aucun mâchefer ne peut être accepté en centre de stockage pour déchets inertes, et certains ont une telle concentration de polluants qu'ils sont considérés comme des déchets dangereux.
2 La « valorisation » consiste à déposer les mâchefers sur le sol dans des terrassements ou travaux routiers, sans étanchéité pour contenir les lixiviats pollués, en contact direct avec la pluie ou « protégés » par quelques centimètres de terre.
3 Une circulaire (non opposable) de 1994 propose les bonnes pratiques à suivre et les limites de polluants que peut contenir un mâchefer « valorisé ». Un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 a renforcé certains points de cette circulaire et sera légalement opposable à partir de juin 2012, mais n'a pas mis en cause cette « valorisation ». Cet arrêté a été attaqué devant le Conseil d’Etat par France Nature Environnement.
4 L’industrie échapperait ainsi aux obligations de responsabilité-producteurs applicables aux déchets, aux obligations d’autorisation pour le transport ou le stockage de déchets, et aux contraintes de protection de l’environnement et de suivi lors de l’utilisation des mâchefers en remblais sur le terrain.
5 APIE : Association Porte de l’Isère Environnement, www.apie-asso.net
6 Lettre du Ministère de l’Ecologie à l’APIE du 17 avril 2012 : « Les mâchefers sont des déchets produits par l'incinération. … Les mâchefers utilisés en technique routière gardent leur statut de déchet. ».
7 L’objectif de REACH est d’assurer que toute substance chimique utilisée en Europe doit faire l’objet d’études de toxicité, de santé et d’impacts sur l’environnement, afin de garantir la sécurité de son utilisation ou, en cas d’effets possibles, de maîtriser les risques par des mesures de prévention appropriées. Le dossier REACH contient donc des études sur l’ensemble des impacts de la substance sur la santé (toxicité, inhalation, effets sur la peau, les yeux, cancer, mutagénèse…) et sur l’environnement (eau, sol…). Si les études n’existent pas ou ne sont pas satisfaisantes, l’industrie doit les définir et les réaliser. Les dossiers REACH sont rendus publics et les associations et experts indépendants peuvent ainsi analyser les risques pour la santé des salariés et des riverains et les conséquences possibles pour l’environnement.
8 Lettre de réponse de l’Agence Européenne de la Chimie (ECHA) à l’association APIE le 1er février 2012 et confirmation de cette position par lettre de l’ECHA du 26 mars 2012.
9 Le chantier est à proximité immédiate d’une zone humide et de la nappe phréatique du Catelan, ressource stratégique d’eau identifiée par le SAGE Bourbre.