L'évolution des modes de consommation est-elle compatible avec la réduction des déchets?

Le 25/02/2004 à 12:05  

L'évolution des modes de consommation est-elle compatible avec la réduction des déchets?

Jean-pierre Loisel Depuis que les pouvoirs publics s’intéressent un tant soit peu à l’environnement, la production de déchets ménagers a toujours été surveillée, analysée, commentée… Dès les années 70 les premières infrastructures de recyclage (du verre) ont été mises en place. Et quelques années plus tard, la question s’est posée de la réduction des déchets à la source. Manifestement, cette question reste d’actualité mais n’a pas rencontré de réponse tant il est vrai que les Français n’ont jamais jeté autant : 220 kg/an/hab. en 1960, plus du double aujourd’hui !

Il y a de quoi être interpellé. Le CREDOC a décortiqué et analysé un certain nombre de paramètres : Jean-Pierre Loisel, Directeur du département Consommation nous livre les grandes lignes qui se dégagent de ces investigations.


De l’évolution des modes de vie à la révolution des modes de consommation, il n’y a qu’un pas…

Le consommateur « moderne » est né après la seconde guerre mondiale, à une époque où les USA exportaient un nouveau modèle : celui de la consommation comme projet de société à part entière et plus simplement comme la forme monétaire de satisfaction des besoins individuels.

Assez rapidement, une fois « acquise », cette nouvelle manière de consommer, la consommation n’a cessé de prendre une place croissante, non seulement dans les discours, dans la littérature des économistes et autres hommes politiques, mais également dans la tête même de chaque consommateur.

Ainsi, alors que le bien détenait jusqu’alors une fonction de représentation sociale (le caractère ostentatoire destiné à se positionner dans la société, par rapport aux autres), il a progressivement vu cette fonction « immatérielle » s’individualiser et devenir une fonction d’appropriation personnelle. D’où l’importance croissante de cette immatériel de plus en plus investi, travaillé par les marquetteurs et ses répercussions dans nos habitudes d’achat. Concrètement, un produit doit vendre non seulement sa « fonction » mais encore tout un imaginaire qui va répondre aux attentes de son acheteur : plaisir, éthique, rêve…

C’est ainsi que les « emballages » des produits (et même des services immatériels, souvent d’autant plus tributaires d’un « packaging » qu’ils ne sont pas concrets) n’ont cessé de se multiplier, pour « communiquer » ce « plus » que le produit dans son intégrité première ne laisse pas apparaître.

Cette tendance ne semble pas prête à disparaître, ni même à s’infléchir dans la mesure où, au-delà des attentes « immatérielles » des consommateurs, des phénomènes socio démographiques, économiques et de mode de vie ne cessent de renforcer ce type d’attentes.


De nombreux éléments semblent favoriser l’inflation du nombre des emballages…

La population vieillit

Le vieillissement de la population couplé avec l’allongement de la durée de vie a peu à peu augmenté le poids des seniors (personnes de 50 ans et plus). En 1995, ceux-ci constituaient 30% de la population totale contre 28 en 1960. En 2020, on estime que la France ne comptera pas moins de 40% de personnes de 50 ans et plus. Or, les seniors correspondent à une catégorie de population ayant globalement des revenus satisfaisants et du temps libre. Leur niveau de vie dépasse aujourd’hui de 30% en moyenne celui des personnes plus jeunes : ils sont donc à la fois en attente de confort et avec les moyens de se le payer. S’ils sont plus « citoyens » que leurs cadets, ils restent suffisamment consommateurs pour privilégier souvent les « beaux » produits…

La taille des foyers rétrécit

A l’orée des années 70, le ménage français moyen était constitué de 3,1 personnes ; en 1997, on ne comptait plus de 2,5 individus par foyer. Compte tenu des taux de fécondité globalement à la baisse et de al nature très linéaire de cette diminution, on peut s’attendre à ce que ce nombre moyen avoisine les 2,3 en 2005. Les conséquences de ce phénomène sur la consommation sont évidentes : avec des foyers plus petits, les économies d’échelle sont moindres et la perception même de la consommation diffère. Cela favorise les achats « segmentés », en petites quantités, d’où des emballages supplémentaires. Par ailleurs, la croissance du nombre de familles monoparentales voire mononucléaire favorise évidemment en particulier en matière alimentaire, les portions individuelles…

La femme gagne sa vie

En 1960, moins d’une femme sur trois quittait le domicile pour aller travailler ; aujourd’hui, plus de la moitié d'entre elles « pratique ce sport » au quotidien. Cette progression a un impact évident sur la consommation. L’achat d’appareils ménagers, toujours plus nombreux et sophistiqués, leur rotation de plus en plus rapide du fait de techniques qui progressent sans cesse plus vite et de matériels qui deviennent obsolètes en quelques années, le recours à des produits alimentaires à élaboration /cuisson rapide (aliments-service, surgelés, plats préparés) pour pallier un manque de temps dans la semaine, compenser une partie de la fatigue de la journée, satisfaire le besoin de regarder la TV avec et en même temps que les autres membres de la famille, sont une conséquence directe de cette évolution.

D’où une augmentation spectaculaire des déchets et des emballages.

A ces trois éléments structurels, vient s’ajouter un nouvel avatar de nos modes de vie!

La réduction du temps de travail, qui n’a fait que concrétiser une évolution entreprise dès les années 80 vers une société du temps « libéré », semble avoir cristallisé des attitudes de plus en plus exigeantes des consommateurs. Tout se passe comme si à mesure que le temps consacré au métier paraît se restreindre, l’exigence de « profiter » du temps restant s’accroît. Dans un tel contexte, les consommateurs sont toujours en demande de moins de contraintes : ils passent de moins en moins de temps à faire les « courses corvées » de moins en moins de temps à cuisiner au quotidien, il souhaitent s’épargner les tâches ménagères…

C’est en particulier sur ces deux derniers univers que l’inflation de l’emballage et du déchet ménager est la plus criante. On a déjà évoqué plus haut les plats tout prêts, les uni-portions qui génèrent beaucoup de cartons et de papiers. Il faut également évoquer la mode des « mono doses » et autres « uni doses » : lingettes ménagères (particulièrement appréciées des hommes) qui filent directement à la poubelle après utilisation mais évitent de se tremper avec une serpillière et promettent en plus une meilleure odeur et un traitement anti-bactérien (!!!???) ; masques mono doses destinés à une utilisation nomade ; dosettes de café qui permettent de ne plus avoir à décider du grammage exact de café et d’être transportées…
Tous ces produits et bien d’autres encore, semblent répondre à de véritables attentes des consommateurs (à moins que les consommateurs n’aient fini par succomber aux propositions des concepteurs, marquetteurs des grandes firmes agro-alimentaires et autres, par le biais des multiples messages publicitaires dont on nous affuble NDLR).
Quoi qu’il en soit, rien ne peut permettre de croire que la tendance va s’inverser.

Peut-on parler de l’avènement proche d’une consommation citoyenne ?

Il est beaucoup question de la montée d’une « consommation citoyenne », qui pourrait peut-être réfréner la spirale inflationniste des déchets.
Dans sa composante environnementale, que les analystes rangent souvent sous le même vocable de consommation citoyenne, car altruiste, cette dimension a connu de beaux succès ; souvenons-nous des premières lessives sans phosphate dès le milieu des années 80.
Là où les producteurs ont eux même joué la « révolution » (en supprimant les produits toxiques, en proposant les éco-recharges…) sans augmenter les prix, les consommateurs ont suivi : plus de 90% des ménagères utilisent aujourd’hui ce type de produits.
Mais dès qu’il s’agit de faire un sacrifice, même minime, (payer plus cher pour des produits verts), la ferveur se calme aussitôt : ainsi les ampoules à économie d’énergie voient-elles leur part de marché progresser très lentement ; un consommateur sur quatre seulement en achète (et pas pour tous ses luminaires) alors que le produit existe depuis près de 20 ans.
Quant aux produits bio, une majorité de français les rejettent, même si un tiers est prêt, de temps en temps à dépenser 30% plus cher pour en acheter : il s’agit alors principalement d’une consommation de « rassurance », finalement peu altruiste.

En conclusion

Au final, si rien n’est fait de manière autoritaire, ou disons, volontariste, il n’y a aucune raison que nous ne jetions pas de plus en plus de déchets dus à une surconsommation toujours croissante d’emballages. Le consommateur seul n’est pas capable de déterminer lui-même des sacrifices à faire. Par contre, aidé par un effort commun, par des propositions des producteurs et des distributeurs, par des règlements, il est susceptible de réagir positivement. Car s’il ne veut pas modifier spontanément son comportement, sa sensibilité aux problèmes environnementaux n’a jamais été aussi grande.