La publication d'un rapport d'information du Sénat sur la fragilité des approvisionnements en minerais et en métaux de la France a pour mérite de dénoncer, sans le dire directement, les erreurs stratégiques des anciens dirigeants des grands groupes industriels métalliques français. En même temps, l'analyse sur les enseignements qui est faite semble peu convaincante et laisse craindre la répétition de nouvelles erreurs. Et, si un autre regard était posé sur ces questions...
Il y a quelques dizaines d'année la stratégie de Francis Mer à la tête d'Usinor Sacilor était de se concentrer sur la production des aciers plats , des aciers à forte valeur ajoutée et ceci principalement via la filière du minerai. En même temps, le contrôle de l'activité minière était qualifiée de secondaire, ce métier étant jugé par nos grands commis d'Etat, comme un métier sans grand intérêt ni économique, ni industriel, et par voie de conséquence non stratégique. Le positionnement était aussi semblable dans les métiers de l'aluminium, chez Pechiney et dans ceux du cuivre.
Toutes ces politiques ont fini à la poubelle, ces dirigeants plus ou moins désavoués et malheureusement leurs actionnaires rincés : Usinor Sacilor, Pechiney passant sous contrôle étranger. Et aujourd'hui, il est question de s'assurer l'approvisionnement en minerai de fer chez ArcelorMittal tout en réalisant des marges plus importantes.
Quand aux grands groupes de l'automobile ou de l'aéronautique, des industries électroniques ils ne sont pas concernés directement par ces questions de matières premières. Par contre, la question du recyclage de leurs productions se pose depuis plusieurs décennies. Et, à cet égard, force est de constater qu'au lieu de percevoir ce recyclage comme une opportunité, ils l'ont perçu et le perçoivent souvent encore comme un facteur de coûts. C'est pour cela que le recyclage est souvent traité comme une question commune aux producteurs et ceci afin d'éviter sur ce sujet la concurrence entre eux. L'effet pervers de cette stratégie est de freiner le développement de nouvelles économies qui sont peut-être en train de devenir des industries fortement rémunératrices et stratégiques. Car pour un producteur, mettre en place sa filière de recyclage, c'est s'assurer de son indépendance tout en apportant un service complet au consommateur. Et, s'il devient de plus en plus difficile d'être compétitif avec certains fabricants à faible coûts de main d'oeuvre, on peut se demander si la fidélisation du client et la marge ne sont pas de plus en plus liés au service du début à la fin de vie.
Ceci dit, lorsque l'on lit dans le rapport d'information du Sénat qu'il faudrait maintenant agir dans le sens inverse, c'est à dire soutenir, sécuriser, à nouveau l'extraction minière, et que concernant le recyclage, il faut y consacrer des sommes importantes pour mieux collecter ou trier les déchets, on se dit que l'intention est certes fondée mais qu'elle est peut-être mal placée. Le rapporteur souligne la différence entre l'Allemagne et la France où il y a encore une exploitation de la lignite et une ingèniérie de pointe dans la fabrication des engins miniers. Mais nos cultures divergent. Plus généralement, les Japonais, les Coréens, les Américains et désormais les Chinois ont défini une politique différente. Outre la constitution de stocks, les organismes dédiés, souvent associés à de grandes compagnies privées, prennent des participations dans des mines ou des entreprises minières jugées stratégiques. Mais, réveillons-nous...Personne ne nous a attendu. idem, pour les terres rares où le retard est là : « l'exploitation des gisements présents hors de Chine réclamera du temps et des investissements importants » reconnaît le rapporteur. Effectivement, les Japonais, les Coréens et les Américains ont déjà pris leurs positions.
Alors, c'est très certainement au niveau du recyclage qu'un nouveau regard devrait être posé. Or, dans ce rapport, ces métiers ne sont représentés que par leur manque : manque d'industrialisation de la filière des déchets électroniques pour les terres rares, manque de moyens financiers pour collecter et mieux trier. Et si on oubliait l'essentiel : la consommation des matières recyclées. Lorsqu'une récente publication des douanes fait état d'un excédent commercial de 3 milliards d'euros sur les matières destinées au recyclage, ( lire notre rédactionnel : Commerce extérieur : vive les matières à recycler ) ne pourrions pas nous dire : quel gâchis industriel ! En effet, ces 3 milliards représentent autant de gisements de minerais à exploiter dans des usines à recycler. Alors, pourquoi ne pas commencer par là. Il y a certainement encore de nombreuses potentialités de créations d'unités industrielles fonctionnant à partir de la matière à recycler : pour les ferrailles, les métaux, les plastiques, les papiers.... Et, pourquoi les fabricants de produits, l'Etat ne viendraient-ils pas soutenir ces investissements ? Autre exemple, au Japon, Toyota exploite bien des unités de recyclage automobile. Alors, en France pourquoi Renault ne deviendrait-il pas son déconstructeur ?
Pour en savoir plus : Rapport d'information sur la sécurité des approvisionnements stratégiques en France