Le Maroc a son roi, la ferraille marocaine sa reine
On a bien connu Margaret Thatcher… Mais il existe une autre dame de fer. Exceptionnelle, elle a pour vocation la récupération. Solide comme un roc, elle évolue au Maroc. De là à dire qu’elle est parvenue à « recycler » toutes les mentalités… il n'y a qu'un pas ...que nous ne franchirons pas!
Aïcha Ben Larbi est fille de récupérateur. Héritière des établissements Ben Larbi, elle dirige depuis la mort de son père en 1981, l’une des plus grandes entreprises marocaines de récupération de ferrailles. Femme dans un milieu d’hommes, elle est le mythe du petit monde de la récupération.
Une main de fer dans des gants de velours… Une femme dans un monde masculin, dont le quotidien est fait de tôle, carburateurs, aluminium et autres non ferreux. Une voix douce à ce que l’on dit mais qui exprime des consignes strictes…
Le chantier de la « ferrailleuse » est situé non loin d’une prison, dans une « zone » austère pour ne pas dire hostile, où se croisent les lignes de chemins de fer destinées aux marchandises, avec de ci, de là des dépôts et usines en désuétude. C’est dans ce décor particulier, on ne peut moins féminin, avec pour rehausser le tout, les miradors du pénitencier local, que cette femme de 55 ans exerce son métier de chef d’« entreprise recycleuse », dirige 30 salariés chargé de traiter le dépôt de ferraille et de commercialiser les produits triés.
L’affaire, créée en 1957, consistait en une fonderie d’aluminium et un chantier de ferraille au même endroit. En 1979, son père opère un choix judicieux et stratégiquement important en déplaçant le site derrière la prison de Oukacha pour se rapprocher du port.
Depuis son plu jeune âge, la récupération est son domaine : depuis toujours en effet, à la sortie des cours, elle donnait un coup de main. Lorsque d’aucuns trouvaient incongru qu’une petite fille prête main forte dans la ferraille, son père avait paraît-il, coutume de répondre : "laissez moi jouer avec les gamins, eux au moins ne me volent pas"…
Après un diplôme de secrétaire à l’école Pigier, Aïcha Ben Larbi refuse de poursuivre ses études malgré l’insistance de son père. L’affaire est entendue : elle a trouvé sa vocation et de ses 6 frères et soeurs, c’est elle qui reprendra l’entreprise familiale.
« Mon père m’envoyait remplir les formulaires d’exportation à Rabat à 7 heures du matin avec instruction d’avoir tout fini à midi. Je revenais à l’heure indiquée, fière d’avoir accompli ma mission. Il me reprochait alors de ne pas avoir fini à 11 heures. Dur, mais tendre à la fois », confie-t-elle à un confrère marocain.
Il reste beaucoup de cette éducation et de cet apprentissage. Coquette et dure en affaires, faisant valoir ses droits mais on ne peut plus réglo, elle fait l’unanimité quant au respect affiché y compris de la part de ses concurrents. « Un respect gagné à la force du poignet pour une partie, hérité pour une autre » dit-t-elle à ceux qui veulent l’entendre.
Autodidacte aussi, elle dit avoir tout appris du « paternel », et transmet ce savoir à son fils, désigné comme héritier de cette entreprise qui exporte aujourd’hui sa ferraille vers la Chine, Taïwan, la Corée, le Pakistan et l’Inde.
Les amas métalliques qui obstruent allègrement la vue sur la mer viennent aujourd'hui du Maroc entier. Récupérés dans des douars, puis réunis chez les grossistes de Marrakech, Meknès ou Oujda, ils viennent s’amonceler chez Aïcha.
Autre pourvoyeur d’importance, l’ONCF, dont elle a débité bon nombre de wagons, de marchandises ou de passagers, avant de les exporter vers l’Asie.
Et c’est ainsi qu’au fil des années, une petite fille et une petite entreprise sont devenues de grandes dames du recyclage.