Kenya : recycler pour assainir les bidonvilles

Le 14/10/2019 à 17:02  

Kenya : recycler pour assainir les bidonvilles

Toilettes sèches dans un bidonville de Nairobi (photo Sanergy) Le nombre de personnes vivant dans les bidonvilles devrait atteindre 3 milliards à travers le monde en 2050, contre un milliard aujourd'hui, selon des chiffres de l'ONU. La collecte des déchets, l'évacuation des eaux usées et sanitaires sont inexistantes et les initiatives destinées à améliorer l'ordinaire sont les bienvenues...

 

 Le bidonville de Nairobi, Mukuru, au Kenya ressemble à beaucoup d'autres dans le monde : des ruelles souillées, des déchets partout, des sacs d'excréments... car tout manque. Fort de ces constats, Ricky Ojwang, a eu l'idée, dès 2012, de mettre en place puis développer l'installation de toilettes propres, mais également de transformer leur contenu en amendement organique. 

"Quand j'ai commencé, il y avait des sacs d'excréments partout", témoigne ce promoteur d'une indispensable propreté pour limiter la propagation de pathologies : "les gens utilisaient des sacs parce qu'il n'y avait pas de toilettes ; puis, ils les jetaient par la fenêtre, cette façon de faire étant appelée toilettes volantes", avec tous les risques de maladies diarrhéiques que cela implique.
De nos jours, ces "toilettes volantes" y sont beaucoup moins visibles dans les ruelles en terre battue, notamment grâce à l'utilisation croissante de toilettes sèches gérées par Ricky Ojwang et son équipe : plus de 100 000 habitants les utilisent tant elles sont désormais nombreuses et bien visisbles dans le bidonville, tandis que la société Sanergy, basée à Nairobi, en recycle le contenu, principalement en engrais.
Cette approche a pour but de relever un défi de taille, et pas seulement au Kenya: le nombre de personnes vivant dans les bidonvilles devrait atteindre 3 milliards à travers le monde en 2050, contre un milliard aujourd'hui (chiffres de l'ONU), alors que la construction d'infrastructures telles que des égouts, toilettes et systèmes de gestion des déchets, est loin de suivre ce rythme.

Dans le cas de Mukuru, un km² de terrain densément peuplé (les estimations varient de 250 000 à plus de 500 000 personnes), situé entre l'aéroport international et une zone industrielle, les mêmes toilettes sont partagées par environ 547 foyers et il n'y a aucun système d'égout, selon une enquête menée en 2017 par des chercheurs kényans et internationaux.
"Vous pouvez imaginer les efforts à déployer pour installer des égouts dans une zone occupée par autant d'habitants! C'est pratiquement impossible, puisqu'il y a une maison tous les trois mètres", souligne Michael Lwoyelo, directeur de Sanergy, qui exploite le système de toilettes sèches du bidonville, mais également le proces de recyclage qui s'en suit.

De fait, ce qui a été mis en oeuvre permet de ne pas dépendre d'un système d'égouts, les toilettes étant louées pour moins de 8 euros/mois, une somme que se partagent plusieurs foyers. Sanergy intervient de nuit ; les équipes récupèrent ces déchets et nettoient les lieux, puiis transfoment ce smétières en engrais vendu à des agriculteurs. D'ici fin 2020, l'entreprise aura lancé la construction d'une usine de recyclage à même de traiter 200 tonnes de matières fécales par jour, soit 10% des excréments de Nairobi.
Sanergy n'est pas seule sur ce marché : ailleurs au Kenya, Umande Trust transforme les excréments d'écoles et de bidonvilles en gaz de cuisine, Sanivation convertit les excréments de Kakuma, un camp de réfugiés du nord-ouest du pays, en briquettes utilisées comme combustible.
Sanergy espère en tout cas que d'ici 2022, un million de Nairobiens utiliseront ses toilettes, mais aussi que ce modèle s'exportera vers d'autres zones urbaines connaissant les mêmes problèmes que Nairobi.

Au Kenya (mais pas seulement), les budgets consacrés aux installations sanitaires sont de loin inférieurs à ce qu'il faudrait : la proportion de la population kényane ayant accès à des toilettes propres n'a augmenté que de 5% entre 1990 et 2015 (selon une note de février 2018 de la Banque mondiale) ; à ce rythme, il faudrait 150 ans pour assurer cet accès à l'ensemble de la population.
L'Organisation mondiale de la santé met l'accent quant à elle sur le nombre de morts (mamadies diarrhéiques) lié à l'absence de toilettes sûres, tandis que l'Unicef évoque une perte mondiale de 260 milliards de dollars de PIB, en raison du coût des soins de santé et la perte de productivité liés à cette problématique.