Interdiction des phtalates : les industriels font la grimace
Les députés viennent de voter, contre l’avis du gouvernement, une proposition de loi visant à interdire l'utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols. La filière plastique (PlasticsEurope, Fédération de la Plasturgie et Elipso), qui n’est concernée que par l’interdiction des phtalates, regrette ce vote. Elle considère que ce texte est fondé sur une interprétation abusive du principe de précaution, qu’il n’apporte pas d’amélioration en matière de sécurité sanitaire et qu’il soulève de très importantes difficultés de mise en oeuvre. Le son de cloche est le même du côté de l'UIC (Union des Industries Chimiques). Décryptage...
Dans l’industrie plastique, les phtalates sont une large famille de substances utilisées comme additifs du PVC (polychlorure de vinyl). Seulement 3 d’entre eux sont soumis à une procédure d’autorisation avant mise sur le marché selon le règlement européen REACH : le DEHP, le BBP et le DBP. La proposition adoptée cette semaine par les députés vise à l’interdiction bien plus large de familles entières de substances, sans aucune distinction entre elles.
La filière plastique s’inquiète d’une interdiction dont le champ d’application ne correspond à aucune donnée scientifique et qui risque de priver les consommateurs de produits qui ont fait leurs preuves (gainages isolants pour fils et câbles électriques, bâches, tuyaux d’arrosage, poches à sang, gants de chirurgien, systèmes d'intubation, etc.), et ce souvent en l’absence de substituts à performances équivalentes. Toujours selon elle, cette proposition de loi se substitue complètement au règlement européen REACH, mis en oeuvre depuis 2007, dont l'objectif est précisément d'améliorer la protection de la santé humaine et de l'environnement tout en s'assurant que les substances extrêmement préoccupantes sont abandonnées ou remplacées par des alternatives.
"En voulant se substituer au cadre européen existant, et pertinent sur ces sujets complexes, la proposition de loi adoptée soulève plus de difficultés qu’elle n’apporte de solution : elle est injustifiée scientifiquement, inapplicable en pratique et inappropriée juridiquement", conclut la filière, bien décidée à défendre son bifteck. Par conséquent, celle-ci demande l’abandon de cette proposition de loi.
Pour rappel, PlasticsEurope représente les producteurs européens de matières plastiques et compte plus de 100 entreprises membres, soit plus de 90% des polymères produits dans les 27 Etats membres de l'UE ainsi qu'en Norvège, en Suisse, en Croatie et en Turquie. La filière européenne du plastique emploie plus de 1,6 million de personnes dans environ 50 000 entreprises (principalement des petites et moyennes entreprises dans le secteur de la transformation) et génère un chiffre d'affaires de 300 milliards d'euros par an. La Fédération de la Plasturgie représente quant à elle l’ensemble des plasturgistes en France et compte plus de 3 850 entreprises, soit 29 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 140 000 salariés. En volume, les marchés de la Plasturgie sont composés à hauteur de 41% par l’emballage, de 19% par la construction, de 10% par l’automobile, de 6% par l’électrique et l’électronique et de 24 % par les autres produits. Enfin, Elipso représente les fabricants d’emballages plastiques et d’emballages souples en France et compte 130 membres, ce qui constitue 75 à 90% de représentativité selon les secteurs constituant ces industries. Les industries du secteur emploient 40 000 collaborateurs dans 320 entreprises pour un chiffre d’affaires annuel de 7 milliards d’euros.
L’Union des Industries Chimiques donne également de la voix et indique ne pas comprendre l’adoption de cette proposition de loi visant à interdire l’utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols. "L’interdiction de familles entières de substances présentant des profils toxicologiques, des utilisations et donc des niveaux d’exposition très différents est un non-sens scientifique, technique et réglementaire. Cette interdiction n’apporte, de plus, aucune amélioration en termes de sécurité sanitaire et de sécurité du consommateur. Elle aurait en revanche des conséquences très négatives sur la vie quotidienne", s'énerve l'UIC.
Sur le plan scientifique et technique, l'industrie chimique considère que cette initiative est précipitée alors que l’Inserm et l’Anses (saisies par le Ministère de la Santé) n’ont pas encore rendu leur évaluation définitive des risques liés aux perturbateurs endocriniens et pour lesquels il n'existe pas de définition validée au niveau européen. "Une interdiction générale apparaît disproportionnée alors que des limitations et interdictions sont appliquées pour des utilisations présentant des risques avérés pour la santé ou l'environnement en application du règlement REACH et d'autres réglementations", souligne-t-elle, reprenant ainsi le même argument que la filière plastique. Sur le plan de l'hygiène, de la santé et de la vie quotidienne, l'UIC rappelle au passage que les phtalates sont notamment utiles pour rendre certaines matières plastiques souples (tuyaux, tubulures, cathéters et poches à sang...), que les parabènes empêchent la prolifération de micro-organismes pathogènes dans les produits cosmétiques et pharmaceutiques, et que les dérivés d'alkyphénols sont utilisés comme émulsifiants. Nombre de ces applications ne sont pas aujourd'hui techniquement substituables.
"L’UIC considère que la proposition de loi constitue une application excessive du principe de précaution faisant fi des processus d’évaluation scientifique et de toute la logique réglementaire européenne. Pour toutes ces raisons, elle ne peut pas soutenir cette initiative visant à interdire en France certaines familles de substances chimiques ne s’inscrivant pas dans une démarche scientifique d’évaluation et de prise en compte des risques et des bénéfices substance par substance. L'UIC insiste sur la nécessité qu'une telle démarche s'inscrive dans le cadre d’une harmonisation européenne sur la sécurité des produits chimiques", conclut l’Union des Industries Chimiques. Pour rappel, l’industrie chimique en France est le 2ème producteur européen et le 5ème producteur mondial. Avec un chiffre d’affaires de 77,1 milliards d’euros en 2010 et 171 500 salariés, elle est l'un des tout premiers secteurs industriels en France.