Fumée de bitume : un risque sanitaire pour les salariés
Les bitumes sont des résidus de raffinage du pétrole utilisés principalement pour les travaux de revêtement routiers. Suite à des signaux d’alertes quant à leurs effets sur la santé des travailleurs, la Fédération nationale des salariés de la construction (CGT Construction) a saisi l’Anses afin d’évaluer les risques sanitaires pour l’homme. Les résultats de cette expertise viennent d'être publiés. Au regard des données disponibles, l’Agence considère, malgré les progrès réalisés au cours des 20 dernières années, qu’il existe un risque sanitaire associé à une exposition des travailleurs aux liants bitumineux et à leurs émissions. En conséquence, elle formule une série de recommandations en matière de prévention du risque chimique...
Les bitumes sont des résidus de raffinage du pétrole utilisés principalement pour les travaux routiers. Actuellement, ils constituent l’ingrédient principal, voire exclusif, d’un liant qui assure la cohésion d’un revêtement (routier, d’étanchéité de toiture...). Par le passé, cette fonction de liant était assurée par l’emploi de goudrons et autres produits issus de la houille, progressivement remplacés par les bitumes. Si le bitume et le goudron de houille sont communément confondus dans la langue française, ce sont pourtant des substances très différentes par leurs compositions chimiques d’origine et leurs propriétés. En particulier, la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques des bitumes est considérablement inférieure à celle des produits houillers. La consommation moyenne annuelle française de bitume est estimée à plus de 3 millions de tonnes (entre 2000 et 2010), avec une part de plus de 90% consacrée aux applications routières (majoritairement l’entretien des voies existantes), les 10% restant concernant les applications industrielles (activités d’étanchéité et d’isolation).
En tant que résidus de distillation, les bitumes sont des mélanges de composés chimiques nombreux et variés (plus de 10 000 composés) dont il est impossible de dresser une liste précise. Les propriétés des bitumes pétroliers dépendent fortement de leur constitution, elle-même liée à l’origine des bruts et aux traitements effectués lors de leur fabrication en raffinerie. Plusieurs types de bitumes aux propriétés différentes peuvent ainsi être obtenus. Par ailleurs, un ou plusieurs additifs peuvent leur être ajoutés dans des proportions souvent faibles, pour leur conférer des propriétés physico-chimiques et mécaniques spécifiques. Dans ce contexte, il n’est pas possible d’établir un profil type de composition. Que ce soit dans le domaine de la construction et de l’entretien des routes ou de l’étanchéité des toitures/terrasses, les différentes utilisations des liants bitumineux peuvent induire une exposition directe des travailleurs aux bitumes mais surtout à leurs émissions, lorsqu’ils sont chauffés pour leur manipulation. Les émissions ainsi produites varient grandement selon le procédé de mise en oeuvre, la nature des produits utilisés, ainsi que le type de travail effectué. Elles sont composées de particules en suspension dans l’air, de vapeurs et de gaz.
L’exposition des travailleurs aux liants bitumineux et à leurs émissions implique ainsi les voies : respiratoire, par inhalation des émissions ; cutanée, par contact direct avec les produits, par dépôt des émissions sur la peau ou par contact éventuel avec les vêtements souillés ; orale, via l’ingestion de produits ou de leurs émissions (contact main-bouche, notamment). Il existe actuellement de nombreuses limites à l’évaluation des expositions des travailleurs liées notamment à la métrologie atmosphérique, ainsi qu’à la métrologie cutanée. En l’absence d’harmonisation au niveau national et international, l’Anses encourage la mise en oeuvre systématique de deux méthodes dans la caractérisation de l’exposition des travailleurs aux émissions de bitumes, l’une globale dans une démarche préventive de réduction des expositions et l’autre spécifique dans une démarche d’investigation médicale. Par ailleurs, le benzo(a)pyrène, traceur historique du risque cancérogène mesuré dans les émissions de liants bitumineux, n’est plus le seul traceur pertinent et l’Agence formule des recommandations de recherche quant au suivi d’autres composés afin de mieux appréhender le risque sanitaire.
Le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) a récemment classé l’exposition aux bitumes oxydés et à leurs émissions lors des travaux d’étanchéité comme cancérogène probable pour l’homme et l’exposition aux bitumes et leurs émissions lors de la pose d’enrobés et/ou lors de travaux d’asphaltage comme cancérogène possible. Au-delà du potentiel cancérogène des produits bitumineux et de leurs émissions, les études épidémiologiques ont mis en évidence l’existence d’effets respiratoires (asthmes, bronchites chroniques...) liés à une exposition des travailleurs. Des effets cardiovasculaires et immunotoxiques sont également suspectés. Pour les effets cutanés, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) souligne qu’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances, de tirer des conclusions définitives concernant l’existence ou non d’un risque de développer un cancer cutané chez les travailleurs exposés aux émissions de bitumes et que des données sont également nécessaires afin d’évaluer les effets conjugués liés à une co-exposition aux émissions de bitumes et aux rayonnements solaires. Les premiers résultats originaux de travaux de recherche financés par l’Agence, n’ont pas permis de conclure à l’heure actuelle. L’Anses encourage le développement d’actions de recherche sur cette question.
Au regard de ces différents éléments, l’Anses conclut à l’existence d’un risque sanitaire associé à une exposition des travailleurs aux liants bitumineux et à leurs émissions. En conséquence, elle considère que les expositions professionnelles aux liants bitumineux et leurs émissions devraient être réduites. La réduction des expositions passe prioritairement par des mesures de prévention collective et d’adaptation de l’organisation du travail. Elles visent à permettre notamment la réduction et le captage des fumées émises, la réduction d’impact de la chaleur ainsi que de la coexposition aux produits bitumineux et au rayonnement solaire. L’Agence formule également des recommandations en matière de prévention du risque chimique, notamment l’élaboration souhaitable d’une proposition de classification harmonisée des bitumes en lien avec leurs effets respiratoires et selon les dispositions du règlement européen CLP ("Classification, Labelling, Packaging"). Enfin, l’Anses attire l’attention sur une problématique nationale émergente. En effet, dans une logique de réduction des coûts, la majorité des travaux routiers concernent aujourd’hui la rénovation et l’entretien du réseau existant impliquant la mise en oeuvre d’opérations de recyclage et de rabotage des anciens revêtements routiers. L’Agence insiste donc sur l’importance de la mise en place d’une surveillance étroite des émissions potentiellement dangereuses pour les travailleurs (amiante, goudrons...) générées lors des ces opérations.