DEEE : le traitement n’est pas compatible avec le trafiquant
La tentation de traiter à pas cher, n’a pas de frontières
S’il va sans dire que les responsables dans cette affaire ne pouvaient pas ne pas savoir qu’ils enfreignaient la loi, il est tout aussi évident qu’ils ont réalisé de sérieuses économies, pendant toutes ces années.
On rappellera que l’accord amiable fait partie intégrante de l’arsenal juridique américain pour rendre la justice. Dans le cas qui nous occupe, cela supposerait une obligation pour l’entreprise incriminée, de mise aux normes des sites concernés, pour en faire des modèles du genre, s’agissant de la gestion des DEEE : budget estimé, 28 millions de dollars à mettre sur le tapis…
Changement de contrée, avec la Grande Bretagne. Là, Joe Benson, un trafiquant de déchets électroniques, âgé de 56 ans, a récemment été condamné. Il écope de 16 mois de prison, parce qu’il a plaidé coupable (ce qui a allégé sa peine), pour avoir exporté de manière illégale, au Nigéria, au Ghana, en Côte d’Ivoire et au Congo, environ 46 tonnes de déchets électroniques, ce qui devait lui rapporter environ 40 000 euros.
Déjà condamné pour des faits similaires en 2011, il a remis sa combine en marche entre septembre 2012 et avril 2013 : exporter des équipements hors service (et donc des déchets), via la procédure qui s’applique pour les réparations ; de la sorte, il faisait l’impasse sur la dépollution avant recyclage, opération évidement couteuse…
Si la France n’a pas encore subi ce type de scandale, on sait que tout n’y est pas parfait. C’est bien ce qui a justifié la table ronde organisée par Eco-Systèmes à la fin de l’année 2014, dédiée aux pratiques illégales en matière de DEEE…
« L’activité des filières parallèles et les images désolantes issues de différents reportages (voir notre article DEEE : ordures sonnantes, déroutantes et trébuchantes) prouvent la nécessité de faire preuve d’encore plus de vigilance. Pour cela, Eco-systèmes a fait le choix d’aller au-delà des contrôles nécessaires, en poursuivant ses efforts pour développer de nouveaux marchés de reprise des matières recyclées, et impulser des exutoires innovants pour certaines fractions issues des appareils recyclés ».
A cela s’ajoute le déploiement « des nouveaux canaux de collecte, ce qui nécessite une professionnalisation accrue de certains acteurs du recyclage des DEEE ». L’ensemble de ces enjeux « révèlent donc la nécessité et l’importance d’une collaboration active entre Eco-systèmes et les acteurs de la chaine du recyclage des DEEE, mais aussi les autorités de contrôle d’un niveau régional à un niveau international, avec des contrôles effectifs » (et des sanctions évidentes)…
Bref : on aura compris que les margoulins ne manquent pas, non plus que les bonnes volontés ; l’idée sera de faire « efficace », car, si l’on en croit un rapport de l’Unep, il faut escompter une progression de l’ordre de 33% du volume de ces D3E, jusqu’en 2017, soit 65,4 millions de tonnes en 2017, c'est-à-dire 9 kg par Terrien (50 millions de tonnes et donc 7 kg par personne, en 2012). Le phénomène ne devrait pas cesser, puisque les pays industriels continueront de consommer ces équipements, et donc de produire ce type de déchets, tandis que les pays émergents pourraient afficher une progression dépassant les 200% au cours de ces prochaines années.
Les filières dites "parallèles", n’ont pas de mal à aller bien…
Pour l’heure, ce que l’on sait, « c’est que chaque année, les pays concernés consomment 50 milliards d’unité des TV, téléphones, et autres produits courants électriques et électroniques, la France pesant à elle seule pour 3 à 5%. L’enjeu n’est évidemment pas seulement les trafics de déchets mais aussi la rareté de la matière nécessaire à la fabrication de ces produits, ceci étant à considérer au regard de la croissance (très/trop) rapide de la population mondiale, et de pays qui veulent avoir ce que nous avons déjà dans nos contrées. Or, la croissance infinie est impossible, tandis que la matière constitue , un patrimoine commun à l’humanité », a indiqué Michel Bourgain, maire de l’Ile Saint-Denis et vice-président de l’AMF, lors de la table ronde organisée par l’éco-organisme fin 2014, l’élu ayant souligné au passage « les bienfaits de l’éco-modulation française, allant de + 20 à + 100% du montant de l’éco-taxe à acquitter en fonction des efforts mis en œuvre pour limiter l’impact des produits » mis sur le marché…
Sans faire dans le terre à terre, les produits existent, sont achetés en masse, de moins en moins chers, vieillissent vite (et souvent mal puisque pas réparables) ce qui génère du déchet à gogo. A la question de savoir si on collecte assez en France, la réponse est clairement, NON. Cela suppose ou impose de changer de modèle.
Si le film signé de Fabrice Estève (« La tragédie électronique » pour Arte) fait mal, il est un bon moyen de sensibiliser à la problématique trafic de DEEE et surtout d’inciter à changer de modèle, Camille Lecomte (Les amis de la terre) ne manquant pas de rappeler que « 25 ans après la Convention de Bâle, 8 ans après l’instauration des éco-organismes à la française, 11 ans après l’adoption de la directive européenne, le problème reste entier », soulignant aussi que « le texte européen prévoyait d’entrée une collecte de 4 kg /an/hab, quand on produisait, déjà à l’époque, près de 14 kg »…
L’objectif des filières parallèles tenant en un mot, rentabilité, laquelle passe par la récupération coûte que coûte des métaux les plus précieux, elles ne s’embarrassent pas avec les procédures, documents officiels à remplir et autres dépollutions. Quand on sait que le démantèlement sauvage devient rentable dès lors que le DEEE contient au moins 5 gr de ces précieux métaux, que ces filières savent quel type de matériel il faut capter en priorité pour l’obtention de ces 5 gr minimum, la boucle est bouclée…
De fait, si l’on considère en parallèle, un détail qui ne manque pas d’intérêt, à savoir un cours de l’or qui a grimpé de 525% entre 2000 et 2010, il n’est pas difficile de porter l’estocade : les filières dites parallèles, n’ont pas de mal à aller bien…
Christian Brabant, directeur général d'Eco-systèmes, confirmant qu’il va falloir « doubler la collecte, aller chercher les tonnages supplémentaires, ce qui engendrera des coûts de collecte et de dépollution, tout en affirmant que les parties prenantes seront très vigilantes »… Il s’agira de tout mettre en œuvre pour allonger la durée de vie des produits, recycler davantage et aider les pays où les déchets ont atterri.
Flavien Dhelemmes, directeur des achats non alimentaires chez Auchan France, indiquant pour sa part que l’enseigne a pris des mesures concrètes visant à favoriser la récupération de ce qui est HS. Il annonce « plus d’un million de réparations et des solutions techniques apportées » par la marque de grande distrib au service du client, mais aussi, bien évidemment « les reprises de DEEE, organisées dans les magasins afin de participer à la sensibilisation du public », précisant par ailleurs qu’Auchan « travaille avec 12 éco-organismes et que les meubles de collecte sont bien "présents’"». De la même manière que des opérations spécifiques sont régulièrement organisées, citant à titre d’exemple, celle menée en partenariat avec SEB, qui a permis de récupérer 22 000 pièces, l’enseigne ayant distribué des bons d’achat de 5 à 10 euros à ses clients ayant joué le jeu.
S’il est heureux d’entendre par sa voix, que la réparation fait sa réapparition, que la collecte dans les magasins n’est pas un leurre, on ne saurait pour autant s’extasier.
Dans la mesure où de longue date, la grande distribution a établi son fonds de commerce sur le « venez chez nous, c’est moins cher », omettant d’indiquer que ce serait vraisemblablement au détriment de la qualité et de la longévité des produits proposés à un public sans doute crédule ou voulant à tout prix faire de (fausses) bonnes affaires, il est difficile de ne pas considérer qu’elle a largement cautionné cette spirale infernale, génératrice de déchets dont on ne sait pas toujours quoi faire, d’ailleurs. Car tout n’est pas recyclable !
Que faire???
A la suite de quoi, la parole était donnée à Valérie Fayard, déléguée générale adjointe chez Emmaüs, qui rappelait pour sa part, que « travailler sur le réemploi (voir DEEE : le réemploi, on y croit), comme c’est le cas chez Emmaüs, évite évidemment les filières parallèles, puisqu’on se situe en amont du déchet, tandis que notre filière aval est reconnue », confirmant par ailleurs que « les personnes en insertion ont de moins en moins de compétences techniques, qu’il existe sur le marché davantage de matériels sophistiqués, mais aussi de plus en plus de produits tout simplement non réparables, tant ils sont bas de gamme ». « Nous travaillons sur ces sujets avec Eco-systèmes, en collaboration avec les Ateliers du Bocage, et allons aussi rechercher des déchets dans cinq pays, dont le Niger, et le Burkina Faso où on récupère des déchets que l’on réimporte chez nous, afin de les traiter dans les règles, puisque nous disposons de structures pour ce faire, en France ».
« On enregistre entre 8 et 9 millions de déclarations en douanes par an, en France et la déclaration en douane ne permet pas d'identifier immédiatement un déchet », explique Michel Marin, chef du bureau D2 en charge de la politique des contrôles à la direction générale des Douanes et Droits indirects du ministère des Finances et des Comptes publics.
« Il faut impérativement accepter de se remettre en question pour mieux combattre ce fléau : au cours de ces trente dernières années, les échanges commerciaux internationaux ont été multipliés par X, ce qui a évidemment favorisé le développement des filières illégales »... admettant à mots à peine couverts qu’à part quelques actions «coups de poing», les autorités européennes responsables du contrôle des transports de marchandises sont à la peine pour identifier les flux illégaux de déchets.
Si les douaniers sont en charge de la détection des cargaisons illicites, le règlement européen n°1013/2006 du 14 juin 2006 leur permettant de faire des contrôles, dans le cadre du respect de la Convention de Bâle (interdiction d’exporter des déchets dangereux dans un pays hors OCDE), il reste que le problème numéro un semble être la pratique du ‘port hopping’, consistant pour un opérateur qui marche en dehors des clous, à choisir un port pas très regardant, en matière de vérification. On ne rigole pas : ça existe, sans nécessairement aller très loin.
Cela étant dit, il est difficile de quantifier avec exactitude les tonnages qui partent vers ces filières : on sait par exemple, que chaque Français produit chaque année 20 kg en moyenne, de D3E, tandis que l’on sait aussi, que l’on en a récupéré 7,4 kg, en 2014. Une fraction de ces déchets reste à demeure, parce que leur détenteur ne veut pas s’en défaire : le reste alimente les filières illégales, qu’elles soient franco françaises ou étrangères. La convention de Bâle interdisant l’exportation de ces déchets, il suffit de les faire passer pour des équipements d’occasion dont l’exportation, elle, est autorisée… En cas de contrôle, pas sûr que le douanier ne se fasse pas berner par une présentation évidemment compatible avec ce qui est déclaré : des écrans bien proprement alignés et empilés…
Tout laisse à penser qu’il serait urgent d’harmoniser les procédures de contrôle aux frontières et de resserrer les mailles d’un filet qui, on l’a bien compris, n’est guère adapté pour aller à la pêche à ces sortes d'anguilles que sont les trafiquants…
Il reste que ces trafics de DEEE, déchets désossés et brûlés sans autre forme de précaution dans d'autres contrées que la nôtre, portent évidemment atteinte à l’image du recyclage pratiqué dans les règles de l’art. Chaque reportage montrant des images qui vont à l’encontre de ce qui est prôné par les éco-organismes, porte préjudice à plus d’un titre : le consommateur, à qui l’on demande de faire des efforts de tri, peut penser qu’on le prend pour un crétin, l’éco-organismes perd en crédibilité, tandis que l’entreprise de recyclage peut être assimilée à une pratiquante de manoeuvres, on ne peut plus douteuses.
Si les pouvoirs publics sont fortement mobilisés, « puisqu’on ne veut pas en France, de filière Low Cost », souligne Baptiste Legay, chef du département politique de gestion des déchets à la DGPR au ministère de l’Ecologie, la lutte contre les trafics et sites illégaux est également une exigence de Federec, absente à ce débat bien que directement concernée, qui ne souhaite évidemment aucun amalgame entre les pirates de tous poils et ses membres, dont un certain nombre se consacrent au recyclage des DEEE (c'est si vrai que l'éco-organisme a officialisé peu de temps après cette table ronde, un accord d'envergure ; voir DEEE : indispensables "ferrailloux").
Baptiste Legay expliquant qu’il « n’est pas facile de repérer les malversations, mais que des actions coordonnées entre l’Oclaes, les Douanes, la Gendarmerie et la Police ont permis de fermer un certain nombre d’activités parfaitement illégales », Dominique Potier, député de Meurthe et Moselle depuis 2012, confirmant que « les législateurs sont très motivés » : pour preuve, « la loi sur l’Ess, qui a renforcé le pouvoir des éco-organismes et de l’économie sociale et solidaire », tandis qu’il faudrait travailler « sur la durée de vie des produits pour limiter le consumérisme », suggérant, pourquoi pas, « d’afficher cette durée de vie, tout comme le prix, afin d’apporter une indication précieuse au consommateur »… L’élu rappelant aussi, « le devoir de vigilance des maisons mères sur leurs filiales et autres sous-traitants ».
« Le défi est entre nos mains », conclut Christian Brabant, relayé par le président de l'éco-organisme, Alain Grimm-Hecker « ravi de constater un certain nombre de convergences de vue entre les intervenants à cette table ronde ». « Nous allons évidemment peiner pour arriver aux objectifs de collecte et de recyclage. Mais ce n’est pas en abordant le col qu’il faut caler : nous allons donc devoir mettre les pieds sur les cales pieds et appuyer »…