Déchets du BTP : la distribution n’est pas ravie d’avoir à les stocker
Le décret était annoncé, voire attendu, étant entendu que les professionnels souhaitaient que le texte soit retravaillé avant publication. C’est loupé… Ce texte, signé le 10 mars 2016, précisant le seuil à partir duquel la reprise des déchets est obligatoire par les distributeurs a été publié le 12, au Journal officiel : il faudra installer des déchetteries, ou zones de reprise, et passer des partenariats avec des entreprises de recyclage. Il reste qu'aucun des aménagements souhaités par les professionnels concernés n’a été pris en compte, ce qui ne manque pas d’énerver et de générer une levée de boucliers…
La reprise par les distributeurs de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, des déchets issus des mêmes types de matériaux, produits ou équipements que ceux qu'ils vendent deviendra bientôt obligatoire ; en clair, le distributeur n'est pas seulement tenu de reprendre les déchets issus des produits qu'il met lui-même sur le marché. Les négociants concernés ruent dans les brancards, à l’idée d’avoir à récupérer tous ces déchets et de devoir s’organiser en conséquence. Cette prise en charge de déchets pondéreux devra être « réalisée sur le site de distribution ou dans un rayon maximal de dix kilomètres », avec dans ce second cas de figure, un affichage visible sur le lieu de vente et sur le site internet (quand celui-ci existe) afin d’informer les professionnels détenteurs ou producteurs de déchets de l’adresse du lieu de collecte.
Ce décret organise donc le régime juridique de l'obligation de reprise et met en place des dispositions contenues dans le Titre IV « Lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire : de la conception des produits à leur recyclage » de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. En d’autres termes, il concrétise la mise en oeuvre d’une responsabilité élargie du distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, et ainsi un dispositif d’ores et déjà jugé complexe : la création de ces déchetteries ou sites d’accueil des déchets sur les unités de distribution de ces distributeurs imposera en effet le respect de plusieurs réglementations.
Dans ce contexte, la fédération du négoce de bois et de matériaux de construction (FNBM), a déjà manifesté son courroux… Investir dans une déchetterie professionnelle quand les affaires vont mal parce que le secteur est abîmé par la situation économique du moment, n’est pas pour plaire, au contraire (l’investissement pour ces négoces pourrait représenter de 200 000 à 700 000 euros par point de vente). Sans compter que pour de nombreux de ces professionnels, la gestion des déchets est un métier à part entière ; ce n’est pas le leur…
Au demeurant, la FNBM a, le mois dernier, souligné qu’au vu des retours d’expériences de ses adhérents qui ont tenté l’expérience de la gestion des déchets, force est de constater que ce n’est pas l’enthousiasme qui prime : « cette activité très coûteuse, nécessite une emprise foncière importante, sans compter qu’elle impose des partenariats qui ne sont pas vraiment révélés satisfaisants ». Reste à savoir avec quelles structures ces partenariats ont été passés et qu'esst ce qui a "coincé"; car des professionnels du recyclage performants, il en existe dans de très nombreuses régions de France...
Il n’empêche : le décret d’application de l’article 93 de la loi de transition énergétique fixant les modalités de la création d’un réseau de déchetteries professionnelles du BTP via les négoces est tombé : le délai laissé pour s’organiser sur le terrain reste hyper court, puisque la date est fixée au 1er janvier de l’année prochaine… Pour autant ce n’est pas faute d’avoir organisé des campagnes de lobbying depuis que ce projet a été mis dans les tuyaux (déjà en avril 2015, Ségolène Royal avait reçu les organisations professionnelles qui demandaient à ce que soit retiré l'article relatif à cette disposition de reprise des déchets, avec une question : pourquoi ce serait aux distributeurs de collecter les déchets alors qu'ils ne sont pas producteurs de ces déchets ? Ce n'est pas leur responsabilité...). Plusieurs regroupements professionnels avaient en effet interpellé le ministère de l’Environnement, celui de l’Economie, puis, François Hollande en personne. Les CGI, FFQ, FGME, FNAS, FNBM, FND, FIPEC, SIPEV ont en effet au cours de l’automne dernier, resserré leurs rangs afin de plaider en défaveur de cette disposition qui selon les syndicats professionnels concernés, aura pour conséquence « un transfert de charge massif des entreprises de recyclage et du bâtiment vers la distribution professionnelle ».
Parmi les sujets qui fâchent, l’assujettissement à cette nouvelle obligation aussi bien des grands groupe du secteur, que la plupart des PME (un million d’euros de chiffre d’affaires et 400 m², surface à partir de laquelle il va falloir récupérer les déchets, sont deux paramètres vite atteints).
Autre sujet de mécontentement, le non assujettissement des grandes surfaces de bricolage, alors même que de nombreux professionnels y font leurs emplettes…
Colère et déception, tels sont les deux mots qui synthétisent l’état d’esprit des entreprises concernées, représentées par leurs syndicats respectifs. « Nous n'avons pas été du tout entendus », a déploré le directeur général de la CGI, Hugues Pouzin, tandis que le président de la FNBM, Géraud Spire, se déclare en colère : « j'avais réussi, en septembre dernier devant le Conseil supérieur de la construction, à faire entendre notre voix ; or, le décret est pratiquement à l'identique que celui qui avait été présenté à l'origine. (…) Non seulement ce texte est inapplicable, mais jamais on ne sera prêt pour le 1er janvier 2017!» !
La FNBM qui n’exclut pas de contester le décret devant le Conseil d’Etat d’ici la fin de cette semaine, devait aujourd’hui même, consulter les autres organisations du bâtiment.
Reste à savoir quelle sera l’attitude des élus locaux ; ils sont peu nombreux à voir d’un œil bienveillant, l’installation de tels centres même s’ils ne polluent pas, au nom du ménagement des populations environnantes. Les contraintes relevant du droit de l’urbanisme ne manqueront pas de pouvoir entraver la création de ces centres de stockage avant enlèvement des déchets. Plus généralement, le distributeur qui exploite l’unité de distribution devra s’assurer que la création du site valant « lieu de reprise » est conforme à toutes les réglementations applicables : droit de l’urbanisme, installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), établissements recevant du public, etc… Il faudra compter aussi, avec l’inévitable circulation liée à cette nouvelle obligation, et organiser les conditions d’accès au site des véhicules apportant les déchets. Autant dire que d'entrée, tout laisse à penser que ça risque d'être plus simple sur le papier, que sur le terrain...