Déchets de guerre : une pollution oubliée et négligée
Rarement évoqués, les déchets de guerre n’ont pas de filière. Les vieilles munitions tuent, polluent et sont les ennemis de la biodiversité. A la suite de ses recherches antérieures (voir notre article), l'association Robin des Bois publie un nouvel inventaire des découvertes de munitions dans les 7 régions du nord et de l’est de la France sinistrées par les guerres de 1870, 14-18 et 39-45. Réalisé grâce à la presse régionale, aux communiqués des préfectures, aux publications spécialisées et à des dires d’experts, il couvre les années 2008, 2009, 2010 et 2011. Cet inventaire est assorti de cartographies, de commentaires historiques, du rappel des circonstances de chacune des 566 découvertes et de dessins des années de guerre...
L’inventaire de Robin des Bois n’est pas exhaustif. Les découvertes ne font pas systématiquement l’objet de communiqués ou de relations dans la presse. "Les pouvoirs publics n’aiment pas s’exprimer à ce sujet et n’apprécient guère les vérités qui dérangent", explique l'association. Selon cette dernière, l’information préventive sur les dangers des déchets de guerre est sous dimensionnée, les démineurs de la Sécurité civile ne sont pas assez nombreux, et cette corporation est vieillissante. "Faute de valorisation morale et financière d’un métier à très hauts risques, le recrutement est difficile alors que l’apprentissage et la transmission d’un savoir manuel et encyclopédique durent 10 ans", précise Robin des Bois.
Autre problème : les destructions des munitions sur les lieux des découvertes, dans des carrières, dans des terrains militaires, dans des enclos hors de la réglementation sur les installations classées n’offriraient pas les garanties nécessaires aux personnes, aux sols, aux sous-sols, aux milieux aquatiques, à la faune, à la flore et aux productions agricoles. De plus, les destructions sur place par enfouissement et combustion à ciel ouvert ne respecteraient pas les prescriptions de la convention internationale sur l’interdiction des armes chimiques entrée en vigueur en 1997.
Dans l’état actuel de la réglementation, une vieille munition abandonnée n’est pas considérée comme un déchet. Son brûlage ou "pétardage" à l’air libre se fait sans étude d’impact. Le Ministère de l’Ecologie souhaite en finir avec cette habitude. Le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Défense, de leur côté, ne veulent pas en entendre parler. En Allemagne, quand les munitions sont considérées comme intransportables, il est fait appel à un four mobile qualifié d’"installation de campagne". L’immersion des munitions ne pouvant être éliminées à terre sans présenter des risques graves est autorisée par le Code de l’Environnement. La prolongation potentielle de cette pratique prohibée et condamnée dans le monde entier s’explique par l’incapacité technique et surtout financière de la France à se doter d’une usine de destruction des armes chimiques. Le projet SECOIA (Site d’Elimination et de Chargements d’Objets Identifiés Anciens) est constamment différé. "Dans la plus optimiste des hypothèses, SECOIA pourrait être opérationnel à la fin de cette décennie. D’ici là, bricolons, immergeons et soyons discrets !", s'énerve l'association.
Robin des Bois n’a pas obtenu de réponse à son courrier de mai 2003 aux ministres de la Défense, de l’Intérieur et de l’Ecologie demandant un rapport public annuel exhaustif et cartographié sur les récupérations des vestiges de guerre. "Bien au contraire le verrou s’est encore refermé grâce à un amendement qui s’est glissé dans la loi de 2008 sur les archives. Cet amendement interdit la consultation des documents publics dont la communication est susceptible de faciliter la localisation des armes chimiques", indique l'association. Autre problème soulevé par cette dernière : dans les régions, les communes bombardées, ou encore les territoires ruraux en voie d’urbanisation historiquement connus pour avoir été des champs de bataille, les permis de construire et d’excaver les sols sont accordés sans recherches préalables des déchets de guerre abandonnés, volontairement ou involontairement enterrés. "Les ball-traps ou les étangs de chasse aux canards sont considérés comme des sites pollués par le plomb des balles. Curieusement la pollution des champs de bataille est oubliée ou négligée par les pouvoirs publics et les scientifiques", conclut Robin des Bois.
Pour consulter cet inventaire des déchets de guerre du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011, rendez-vous ici. Une carte de synthèse est également disponible.