Biomasse : énergie de demain pour l'industrie sidérurgique ?
Réduire de 50% les émissions de CO2 de l'industrie sidérurgique : tel est l'objectif, via l'obtention de procédés innovants, du projet européen Ulcos (Ultra Low CO2 Steelmaking), mené en partenariat avec le Cirad (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement). A cette fin, un projet associe, depuis deux ans et demi, les efforts de recherche et de développement de 47 partenaires issus de 15 pays européens : sidérurgistes, constructeurs, fournisseurs de matières premières, laboratoires de recherche et universités. La phase exploratoire, d'une durée de 18 mois, s'est achevée en mars 2005 ; le second volet est en cours. Pour information, la sidérurgie représente 6% des émissions de GES anthropogéniques...
La substitution des énergies fossiles par la biomasse, notamment celle provenant de plantations forestières de pays tropicaux, constitue le thème central du projet. Deux points sont essentiellement abordés : la disponibilité de la biomasse issue de ces plantations et la mise au point de procédés plus performants et moins polluants de conversion de cette biomasse en charbon de bois, élément essentiel de la sidérurgie.
Afin de fournir durablement cette biomasse, il est nécessaire d'évaluer la surface des terres disponibles en vue de futures plantations industrielles d'eucalyptus ; cette espèce à forte croissance permettant de fournir rapidement une grande quantité de biomasse. Dans le cadre de cette évaluation, les chercheurs ont réalisé une étude prospective, à l'horizon 2050, des contraintes socio-économiques et environnementales de différents pays tropicaux.
Résultats : ont été élus "candidats" à l'accueil de ces plantations : le Brésil, avec 50 millions d'hectares disponibles en 2050 et plusieurs pays d'Afrique centrale avec 46 millions d'hectares disponibles en 2050. Plus précisément, il s'agit des Etats brésiliens du Tocantins, du Maranhão et du Piaui qui présentent les conditions les plus favorables pour des plantations forestières. En Afrique centrale, il s'agit du Congo (Sud), de la République démocratique du Congo (Ouest), de l'Angola (Nord et Est), de la Zambie (Ouest), de la Tanzanie (Ouest et Sud), du Mozambique (Nord) et de la République centrafricaine (Ouest et Centre). Ces pays présentent en effet une pluviométrie supérieure à 1000 mm/an sur plus d'un tiers de leur territoire, et la densité de leur population n'excède pas 80 hab/km². Ainsi, leurs terres ne subissent pas de pressions élevées.
Afin d'établir les indicateurs d'une production de biomasse soutenue et durable, des bilans de carbone, eau et nutriments ont été réalisés par le Cirad dans les plantations d'eucalyptus au Congo. Les résultats montrent qu'à l'issue d'une rotation de 7 ans, 36,7 t C/ha peuvent être exportées, soit l'équivalent de 134,5 t de CO2 par ha. Le changement d'affectation des terres (qui sont à l'origine des savanes) en plantations d'eucalyptus permettrait un stockage permanent de 28,8 t C/ha (105,5 t CO2/ha), avec 24,4 t C/ha dans la biomasse et 4,4 t C/ha dans la litière, mais 0 t C/ha dans le sol. Ce changement affecte le bilan azoté, rendant nécessaire une fertilisation adéquate des plantations d'eucalyptus.
Concernant les flux de carbone au sein des plantations brésiliennes, ils sont deux fois supérieurs à ceux mesurés dans les plantations congolaises (20 t versus 10 t de matière sèche/ha/an). Le potentiel de séquestration de carbone des plantations au Brésil est donc nettement supérieur à celui des plantations du Congo.
Du côté des processus de conversion de la biomasse en charbon de bois, ce sont des procédés thermochimiques innovants, tels que la pyrolyse sous haute pression, qui ont retenu l'attention des chercheurs. Les résultats indiquent que les conditions de haute pression et de faible vitesse de chauffage sont les paramètres permettant d'améliorer de 26% à 33% le rendement de carbone fixe lors de la carbonisation. Ces conditions favorisent la conversion des composés lignocellulosiques de la biomasse (cellulose, hémicellulose, lignine) en carbone solide pour la production de charbon de bois. Elles contribuent, d'autre part, à la diminution des émissions gazeuses par rapport aux procédés classiques fonctionnant à pression atmosphérique : la pyrolyse sous haute pression émet en effet 1,5 millions de tonnes (Mt) de CO2 pour 1 Mt de charbon produit, alors que celle à pression atmosphérique rejette 2,5 Mt de CO2 pour une production identique de charbon de bois. De plus, les gains de rendement obtenus lors de la production de charbon de bois permettent de réduire d'autant les besoins en surface de plantation.
A l'heure actuelle, les recherches menées par le Cirad, avec ses partenaires, continuent au Congo et au Brésil dans le but de confirmer certains résultats issus de la phase exploratoire, notamment ceux sur les bilans de carbone, eau et nutriments. Des conclusions concernant la fourniture durable de biomasse pourront alors être dressées. La seconde phase du projet traitera également de l'optimisation du charbon de bois en fonction des besoins de la production d'acier.
Des études seront également réalisées au sein des zones sélectionnées afin de confirmer la viabilité technique, sociale et économique de plantations forestières à même de produire du charbon de haute qualité. Une attention particulière sera portée aux infrastructures de transport entre les sites de conversion et les ports, étape demeurant une des contraintes principales de la filière biomasse.