Biodéchets agricoles : une ressource à valoriser
En Bretagne, première région agricole française, l’élevage produit chaque année des millions de tonnes de lisier. Pour réduire les émissions de GES et faire face aux enjeux énergétiques actuels, les chercheurs du Cemagref de Rennes, de l’Inra de Narbonne et de l’Université de Bretagne-Sud ont mis au point un nouvel équipement pour les éleveurs visant à coupler la méthanisation des effluents d’élevage et le traitement obligatoire de l’azote. Aujourd’hui, l’idée est de collecter plusieurs sources de biodéchets : agricoles, industriels et ménagers pour assurer la rentabilité de cet équipement. Ces travaux font l’objet d’un nouveau projet : Biodecol...
L’élevage intensif de porcs en Bretagne produit 10 à 12 millions de tonnes de lisier par an. Or ce lisier se révèle fortement chargé en azote, dont l’épandage excessif sur les sols agricoles pollue les eaux superficielles destinées à l’alimentation en eau potable et est responsable de l’eutrophisation des cours d’eau. Depuis 1991, la Directive européenne sur les nitrates vise à lutter contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Les agriculteurs sont contraints de traiter les effluents avant de les utiliser comme fertilisant : il s’agit d’éliminer l’azote par traitement biologique de nitrification-dénitrification, ce qui permet de réduire jusqu’à 70% la charge azotée. Parallèlement, la méthanisation apparaît comme une solution efficace pour valoriser ce lisier. Ainsi, le Cemagref de Rennes, en collaboration avec l’Inra de Narbonne et l’Université Bretagne-Sud, a mis au point le projet Digestaero (2006-2009), financé par l’ANR. Objectif : combiner le traitement obligatoire de l’azote tout en valorisant le potentiel énergétique des effluents d’élevage.
La mise en commun de ces 2 procédés n’est pas simple puisqu’ils ont des besoins complètement différents : le traitement de l’azote se fait en présence d’oxygène alors que la méthanisation ne peut se produire qu’en absence d’oxygène (digestion anaérobie). Après 3 ans de travaux, un pilote expérimental a été développé afin de comprendre les phénomènes mis en jeu et d’optimiser ainsi les procédés. Un modèle numérique a été conçu en vue d’identifier les paramètres importants puis de définir la filière optimale pour le procédé. Les sociétés Evalor et Odipure se chargent de l’industrialisation du projet, de sa promotion et du suivi technique. La Bretagne compte plus de 300 stations de traitement d’azote. Ces exploitations sont les premières visées par Digestaero puisqu’elles sont déjà équipées d’ouvrages de traitement de l’azote et de stockage, ce qui permet de réduire les coûts d’investissement. Cette solution technologique innovante permet d’approcher l’autosuffisance énergétique.
Une des conclusions de Digestaero montre qu’en termes de production de biogaz, les déjections animales ont un potentiel relativement faible. Le nouveau projet Biodecol lancé en 2009 s’intéresse à la production de méthane à partir de plusieurs sources de déchets fermentescibles : des déchets d’ensilage de cultures, d’industries agroalimentaires, des déchets verts des ménages, pour assurer la rentabilité et l’intérêt de la méthanisation. Les recherches portent sur la qualité des différents substrats et des différents mélanges pour une production d’énergie optimale. L’objectif est de réaliser des abaques des mélanges les plus efficaces, utilisables par tous les acteurs. Outre la dimension purement technique, le projet Biodecol se penche également sur les impacts environnementaux de la méthanisation.
En collaboration avec la chambre d’agriculture de Bretagne, des essais en grandeur réelle ont été menés pour suivre les émissions gazeuses au stockage et à l’épandage et la qualité des apports en potassium, phosphore et azote en comparant les différents produits. Ce projet englobe également une dimension sociologique qui vise à mobiliser tous les acteurs concernés du territoire pour garantir la viabilité du procédé : les industriels et les collectivités ravitaillent l’unité de production en déchets et consomment l’électricité et la chaleur produites. Le projet initial conduit à l’échelle de l’exploitation devient aujourd’hui un projet mené à l’échelle du territoire dans lequel toutes les parties prenantes sont intégrées dès la phase de réflexion. Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine s’intéresse au projet Biodecol et intègrera dans son plan départemental de gestion des déchets les résultats de recherche sur la gestion territoriale des déchets et la méthanisation.