Albertville : La juge fait de la résistance
Refusant d’être dessaisie du dossier sur lequel elle travaille depuis des mois et impliquant des personnalités, la jeune juge d'Albertville résiste aux pressions du parquet : elle a rendu hier, date butoir pour prendre sa décision, une ordonnance dans laquelle elle refuse de se dessaisir du dossier d'instruction de la dioxine d'Albertville. A la grande satisfaction des associations de victimes qui avouent avoir craint qu’elle ne craque et ne lâche le dossier comme le lui avait demandé le procureur Henri Perret …
La jeune magistrate n’a donc pas cédé. Hélène Lastera a choisi de s’isoler le temps de la réflexion afin de mûrir sa décision. Au grand soulagement des associations de victimes qui « s’étaient préparées à ce qu'elle se dessaisisse… Elle a dit non et nous a donné une belle leçon de courage et d'indépendance, a déclaré Dominique Frey, coprésidente de l'Acalp, principale association de victimes. La magistrate, était soumise à de fortes pressions dans cette affaire qui concerne des personnalités locales et nationales ; de ce fait, on pouvait craindre qu’elle n’accède à la requête du procureur : lâcher ce dossier sur lequel elle travaille sans relâche depuis trente mois, au profit de la santé publique à Marseille… « Or, le pôle de santé publique de Marseille ne fonctionne pas encore. Il ne dispose même pas de locaux… ».
Au départ, le dossier Albertville ne devait être qu'un gros dossier de santé publique : l'usine d'incinération des ordures ménagères de Gilly-sur-Isère, jamais aux normes, avait pollué toute la vallée pendant trente ans. Des élus avaient sans cesse repoussé les travaux nécessaires, et des agents de la Drire affirment avoir eu la consigne de «lever le pied».
Mais le maire d'Albertville, Albert Gibello, a été mis en examen le 11 juin 2004.
Et l'hypothèse d'un dessaisissement a alors été évoquée au ministère. Le procureur d'Albertville aurait été convoqué dans le bureau du directeur des affaires criminelles et des grâces, en compagnie du procureur général de Chambéry, et en présence du directeur de cabinet de Dominique Perben.
Le ministère s'est ensuite régulièrement tenu informé du dossier, par des synthèses et la copie de certains interrogatoires menés par la juge. Cependant, la chancellerie conteste toute intervention dans la demande de dessaisissement. Pourtant, début mars, soit trois semaines avant de rédiger son fameux réquisitoire de dessaisissement, le procureur d'Albertville indiquait à l'hebdomadaire La Savoie qu'il n'était «qu'un petit procureur de province», mais que si le ministère lui ordonnait de demander le dessaisissement, il serait «obligé de le relayer».
Cela étant, trente mois d’instruction débroussaillent sérieusement le terrain. Et l’affaire des dioxines d’Albertville se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait au départ.
Le dossier serait même en passe d’être bouclé prochainement selon plusieurs sources.
Deux expertises sont d’ores et déjà achevées. La troisième, chargée d'établir le rapport entre la pollution et le grand nombre de cancers constatés dans le secteur, est diligentée à Lyon.
Pour rappel, en remontant la chaîne des responsabilités, la magistrate a mis en examen cinq personnes. Lorsque le procureur lui a adressé son réquisitoire, elle s'apprêtait, selon les parties civiles, à convoquer deux anciens préfets de Savoie pour les mettre eux aussi en examen. Sans compter qu’elle aurait eu également l’intention d'entendre Michel Barnier (ministre des Affaires Etrangères, et président du Conseil général de Savoie au moment des faits), Dominique Voynet et Corinne Lepage, anciens ministres de l’environnement…